Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/481

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nous a pas permis d’accepter. Est-ce un Italien que le duc ? m’est avis que c’est le père Éternel ! Adieu, mon ange, tu me pardonneras mes prochaines tristesses en faveur de cette gaieté tombée comme un rayon du flambeau de l’Espérance, qui jusqu’alors me paraissait un feu follet. »


— Comme il aime ! s’écria Philomène en laissant tomber cette lettre, qui lui sembla lourde à tenir. Après onze ans, écrire ainsi ?

— Mariette, dit Philomène à la femme de chambre, le lendemain matin, allez jeter cette lettre à la poste ; dites à Jérôme que je sais tout ce que je voulais savoir, et qu’il serve fidèlement monsieur Albert. Nous nous confesserons de ces péchés sans dire à qui les lettres appartenaient, ni où elles allaient. J’ai eu tort, c’est moi qui suis la seule coupable.

— Mademoiselle a pleuré, dit Mariette.

— Oui, je ne voudrais pas que ma mère s’en aperçût ; donnez-moi de l’eau bien froide.

Philomène, au milieu des orages de sa passion, écoutait souvent la voix de sa conscience. Touchée par cette admirable fidélité de deux cœurs, elle venait de faire ses prières, et s’était dit qu’elle n’avait plus qu’à se résigner, à respecter le bonheur de deux êtres dignes l’un de l’autre, soumis à leur sort, attendant tout de Dieu, sans se permettre d’actions ni de souhaits criminels. Elle se sentit meilleure, elle éprouva quelque satisfaction intérieure après avoir pris cette résolution, inspirée par la droiture naturelle au jeune âge. Elle y fut encouragée par une réflexion de jeune fille : elle s’immolait pour lui !

— Elle ne sait pas aimer, pensa-t-elle. Ah ! si c’était moi, je sacrifierais tout à un homme qui m’aimerait ainsi. Être aimée !… quand et par qui le serai-je, moi ? Ce petit monsieur de Soulas n’aime que ma fortune ; si j’étais pauvre, il ne ferait seulement pas attention à moi.

— Philomène, ma petite, à quoi penses-tu donc ? tu vas au delà de la raie, dit la baronne à sa fille, qui faisait des pantoufles en tapisserie pour le baron.

Philomène passa tout l’hiver de 1834 à 1835 en mouvements secrets tumultueux ; mais au printemps, au mois d’avril, époque à laquelle elle atteignit à ses dix-huit ans, elle se disait parfois qu’il serait bien de l’emporter sur une duchesse d’Argaiolo. Dans le silence