— Je le veux bien, dit le baron, et pour mon compte je lui donne les Rouxey, maintenant que le tribunal nous a mis d’accord avec la commune des Riceys en fixant mes limites à trois cents mètres à partir de la base de la Dent de Vilard. On y creuse un fossé pour recevoir toutes les eaux et les diriger dans le lac. La Commune n’a pas appelé, le jugement est définitif.
— Vous n’avez pas encore deviné, dit la baronne, que ce jugement me coûte trente mille francs donnés à Chantonnit. Ce paysan ne voulait pas autre chose, il a l’air d’avoir gain de cause pour sa commune, et il nous a vendu la paix. Si vous donnez les Rouxey, vous n’aurez plus rien, dit la baronne.
— Je n’ai pas besoin de grand’chose, dit le baron, je m’en vais…
— Vous mangez comme un ogre.
— Précisément : j’ai beau manger, je me sens les jambes de plus en plus faibles…
— C’est de tourner, dit la baronne.
— Je ne sais pas, dit le baron.
— Nous marierons Philomène à monsieur de Soulas ; si vous lui donnez les Rouxey, réservez-vous-en la jouissance ; moi je leur donnerai vingt-quatre mille francs de rente sur le grand-livre. Nos enfants demeureront ici, je ne les vois pas bien malheureux…
— Non, je leur donne les Rouxey tout à fait. Philomène aime les Rouxey.
— Vous êtes singulier avec votre fille ! vous ne me demandez pas à moi si j’aime les Rouxey ?
Philomène, appelée incontinent, apprit qu’elle épouserait monsieur Amédée de Soulas dans les premiers jours du mois de mai.
— Je vous remercie, ma mère, et vous mon père, d’avoir pensé à mon établissement, mais je ne veux pas me marier, je suis très-heureuse d’être avec vous…
— Des phrases ! dit la baronne. Vous n’aimez pas monsieur le comte de Soulas, voilà tout.
— Si vous voulez savoir la vérité, je n’épouserai jamais monsieur de Soulas…
— Oh ! le jamais d’une fille de dix-neuf ans ! reprit la baronne en souriant avec amertume.
— Le jamais de mademoiselle de Watteville, reprit Philomène avec un accent prononcé. Mon père n’a pas, je pense, l’intention de me marier sans mon consentement ?