Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/508

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vèrent monsieur de Watteville dans un état désespéré, malgré les soins intelligents du médecin des Riceys. La peur déterminait une infiltration séreuse au cerveau, la digestion arrêtée achevait de tuer le pauvre baron.

Cette mort, qui n’aurait pas eu lieu si, disait madame de Watteville, son mari était resté à Besançon, fut attribuée par elle à la résistance de sa fille qu’elle prit en aversion en se livrant à une douleur et à des regrets évidemment exagérés. Elle appela le baron son cher agneau ! Le dernier Watteville fut enterré dans un îlot du lac des Rouxey, où la baronne fit élever un petit monument gothique en marbre blanc, pareil à celui dit d’Héloïse au Père-Lachaise.

Un mois après cet événement, la baronne et sa fille vivaient à l’hôtel de Rupt dans un sauvage silence. Philomène était en proie à une douleur sérieuse, qui ne s’épanchait point au dehors : elle s’accusait de la mort de son père et soupçonnait un autre malheur, encore plus grand à ses yeux, et bien certainement son ouvrage ; car, ni l’avoué Girardet, ni l’abbé de Grancey n’obtenaient de lumières sur le sort d’Albert. Ce silence était effrayant. Dans un paroxisme de repentir, elle éprouva le besoin de révéler au vicaire-général les affreuses combinaisons par lesquelles elle avait séparé Francesca d’Albert. Ce fut quelque chose de simple et de formidable. Mademoiselle de Watteville avait supprimé les lettres d’Albert à la duchesse, et celle par laquelle Francesca annonçait à son amant la maladie de son mari en le prévenant qu’elle ne pourrait plus lui répondre pendant le temps qu’elle se consacrerait, comme elle le devait, au moribond. Ainsi pendant les préoccupations d’Albert relativement aux élections, la duchesse ne lui avait écrit que deux lettres, celle où elle lui apprenait le danger du duc d’Argaiolo, celle où elle lui disait qu’elle était veuve, deux nobles et sublimes lettres que Philomène garda. Après avoir travaillé pendant plusieurs nuits, Philomène était parvenue à imiter parfaitement l’écriture d’Albert. Aux véritables lettres de cet amant fidèle, elle avait substitué trois lettres dont les brouillons communiqués au vieux prêtre le firent frémir, tant le génie du mal y apparaissait dans toute sa perfection. Philomène, tenant la plume pour Albert, y préparait la duchesse au changement du Français faussement infidèle. Philomène avait répondu à la nouvelle de la mort du duc d’Argaiolo par la nouvelle du prochain mariage d’Albert avec elle-même, Philomène. Les deux lettres avaient dû se croiser et s’étaient croisées. L’esprit infernal avec lequel les lettres furent