Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/514

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Du moins, madame de Watteville crut à l’amitié de sa fille ; mais Philomène voulait tout bonnement voir Paris pour se donner le plaisir d’une atroce vengeance : elle ne pensait qu’à venger Savarus en martyrisant sa rivale.

On avait émancipé mademoiselle de Watteville, qui d’ailleurs atteignait bientôt à l’âge de vingt-un ans. Sa mère, pour terminer ses comptes avec elle, lui avait abandonné ses droits sur les Rouxey, et la fille avait donné décharge à sa mère à raison de la succession du baron de Watteville. Philomène avait encouragé sa mère à épouser le comte de Soulas et à l’avantager.

— Ayons chacune notre liberté, lui dit-elle.

Madame de Soulas, inquiète des intentions de sa fille, fut surprise de cette noblesse de procédés, elle fit présent à Philomène de six mille francs de rente sur le grand-livre par acquit de conscience. Comme madame la comtesse de Soulas avait quarante-huit mille francs de revenus en terres, et qu’elle était incapable de les aliéner dans le but de diminuer la part de Philomène, mademoiselle de Watteville était encore un parti de dix-huit cent mille francs : les Rouxey pouvaient produire, avec quelques améliorations, vingt mille francs de rente, outre les avantages de l’habitation, ses redevances et ses réserves. Aussi Philomène et sa mère, qui prirent bientôt le ton et les modes de Paris, furent-elles facilement introduites dans le grand monde. La clef d’or, ces mots : dix-huit cent mille francs !… brodés sur le corsage de Philomène, servirent beaucoup plus la comtesse de Soulas que ses prétentions à la de Rupt, ses fiertés mal placées, et même que ses parentés tirées d’un peu loin.

Vers le mois de février 1838, Philomène, à qui bien des jeunes gens faisaient une cour assidue, réalisa le projet qui l’amenait à Paris. Elle voulait rencontrer la duchesse de Rhétoré, voir cette merveilleuse femme et la plonger dans d’éternels remords. Aussi Philomène était-elle d’une recherche et d’une coquetterie étourdissantes afin de se trouver avec la duchesse sur un pied d’égalité. La première rencontre eut lieu dans le bal annuellement donné pour les pensionnaires de l’ancienne Liste civile, depuis 1830.

Un jeune homme, poussé par Philomène, dit à la duchesse en la lui montrant : — Voilà l’une des jeunes personnes les plus remarquables, une forte tête ! Elle a fait jeter dans un cloître, à la Grande Chartreuse, un homme d’une grande portée, Albert