Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/86

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

comme vous de leurs supériorités, elles avaient adroitement remarqué les qualités qui leur manquaient. Soit qu’elles possédassent ces qualités, ou qu’elles feignissent de les avoir, elles trouvaient moyen d’en faire un si grand étalage aux yeux de leurs maris qu’elles finissaient par leur imposer. Enfin, apprenez encore que ces âmes qui paraissent si grandes ont toutes un petit grain de folie que nous devons savoir exploiter. En prenant la ferme volonté de les dominer, en ne s’écartant jamais de ce but, en y rapportant toutes nos actions, nos idées, nos coquetteries, nous maîtrisons ces esprits éminemment capricieux qui, par la mobilité même de leurs pensées, nous donnent les moyens de les influencer.

— Oh ciel ! s’écria la jeune femme épouvantée, voilà donc la vie. C’est un combat…

— Où il faut toujours menacer, reprit la duchesse en riant. Notre pouvoir est tout factice. Aussi ne faut-il jamais se laisser mépriser par un homme ; on ne se relève d’une pareille chute que par des manœuvres odieuses. Venez, ajouta-t-elle, je vais vous donner un moyen de mettre votre mari à la chaîne.

Elle se leva, pour guider en souriant la jeune et innocente apprentie des ruses conjugales à travers le dédale de son petit palais. Elles arrivèrent toutes deux à un escalier dérobé qui communiquait aux appartements de réception. Quand la duchesse tourna le secret de la porte, elle s’arrêta, regarda Augustine avec un air inimitable de finesse et de grâce : — Tenez, le duc de Carigliano m’adore ! eh bien, il n’ose pas entrer par cette porte sans ma permission. Et c’est un homme qui a l’habitude de commander à des milliers de soldats. Il sait affronter les batteries, mais devant moi ! il a peur.

Augustine soupira. Elles parvinrent à une somptueuse galerie où la femme du peintre fut amenée par la duchesse devant le portrait que Théodore avait fait de mademoiselle Guillaume. À cet aspect, Augustine jeta un cri.

— Je savais bien qu’il n’était plus chez moi, dit-elle, mais… ici !

— Ma chère, je ne l’ai exigé que pour voir jusqu’à quel degré de bêtise un homme de génie peut atteindre. Tôt ou tard, il vous aurait été rendu par moi ; mais je ne m’attendais pas au plaisir de voir ici l’original devant la copie. Pendant que nous allons achever notre conversation, je le ferai porter dans votre voiture. Si, armée de ce talisman, vous n’êtes pas maîtresse de votre mari pendant