Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/10

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restitution. L’architecte du roi avait évalué la dépense à trois cent mille livres. Cette confidence eut pour effet de me rejeter sur le sopha de mon salon. Eh ! quoi, mon père, au lieu d’employer cette somme à me marier, me laissait mourir au couvent ? Voilà la réflexion que j’ai trouvée sur le seuil de cette porte. Ah ! Renée, comme je me suis appuyé la tête sur ton épaule, et comme je me suis reportée aux jours où ma grand’mère animait ces deux chambres ! Elle qui n’existe que dans mon cœur, toi qui es à Maucombe, à deux cents lieues de moi, voilà les seuls êtres qui m’aiment ou m’ont aimée. Cette chère vieille au regard si jeune voulait s’éveiller à ma voix. Comme nous nous entendions ! Le souvenir a changé tout à coup les dispositions où j’étais d’abord. J’ai trouvé je ne sais quoi de saint à ce qui venait de me paraître une profanation. Il m’a semblé doux de respirer la vague odeur de poudre à la maréchale qui subsistait là, doux de dormir sous la protection de ces rideaux en damas jaune à dessins blancs où ses regards et son souffle ont dû laisser quelque chose de son âme. J’ai dit à Philippe de rendre leur lustre aux mêmes objets, de donner à mon appartement la vie propre à l’habitation. J’ai moi-même indiqué comment je voulais y être, en assignant à chaque meuble une place. J’ai passé la revue en prenant possession de tout, en disant comment se pouvaient rajeunir ces antiquités que j’aime. La chambre est d’un blanc un peu terni par le temps, comme aussi l’or des folâtres arabesques montre en quelques endroits des teintes rouges ; mais ces effets sont en harmonie avec les couleurs passées du tapis de la Savonnerie qui fut donné par Louis XV à ma grand’mère, ainsi que son portrait. La pendule est un présent du maréchal de Saxe. Les porcelaines de la cheminée viennent du maréchal de Richelieu. Le portrait de ma grand’mère, prise à vingt-cinq ans, est dans un cadre ovale, en face de celui du roi. Le prince n’y est point. J’aime cet oubli franc, sans hypocrisie, qui peint d’un trait ce délicieux caractère. Dans une grande maladie que fit ma tante, son confesseur insistait pour que le prince, qui attendait dans le salon, entrât. — Avec le médecin et ses ordonnances, a-t-elle dit. Le lit est à baldaquin, à dossiers rembourrés ; les rideaux sont retroussés par des plis d’une belle ampleur ; les meubles sont en bois doré, couverts de ce damas jaune à fleurs blanches, également drapé aux fenêtres, et qui est doublé d’une étoffe de soie blanche qui ressemble à de la moire. Les dessus de porte sont peints je ne sais par qui, mais ils représentent un