Aller au contenu

Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

ce soir : vous vous êtes conduit comme je me serais conduite moi-même si l’on m’eût appris que vous faisiez un mariage. — J’ai pensé que vous m’eussiez instruit avant tout le monde, a-t-il répondu. — Et quel est votre droit à ce privilége ? — Celui d’un serviteur dévoué. — L’êtes-vous vraiment ? — Oui, dit-il ; et je ne changerai jamais. — Eh ! bien, si ce mariage était nécessaire, si je me résignais… La douce lueur de la lune a été comme éclairée par les deux regards qu’il a lancés sur moi d’abord, puis sur l’espèce d’abîme que nous faisait le mur. Il a paru se demander si nous pouvions mourir ensemble écrasés ; mais, après avoir brillé comme un éclair sur sa face et jailli de ses yeux, ce sentiment a été comprimé par une force supérieure à celle de la passion. — L’Arabe n’a qu’une parole, a-t-il dit d’une voix étranglée. Je suis votre serviteur et vous appartiens : je vivrai toute ma vie pour vous. La main qui tenait le balcon m’a paru mollir, j’y ai posé la mienne en lui disant : — Felipe, mon ami, je suis par ma seule volonté votre femme dès cet instant. Allez me demander dans la matinée à mon père. Il veut garder ma fortune ; mais vous vous engagerez à me la reconnaître au contrat sans l’avoir reçue, et vous serez sans aucun doute agréé. Je ne suis plus Armande de Chaulieu ; descendez promptement, Louise de Macumer ne veut pas commettre la moindre imprudence. Il a pâli, ses jambes ont fléchi, il s’est élancé d’environ dix pieds de haut à terre sans se faire le moindre mal ; mais, après m’avoir causé la plus horrible émotion, il m’a saluée de la main et a disparu. Je suis donc aimée, me suis-je dit, comme une femme ne le fut jamais ! Et je me suis endormie avec une satisfaction enfantine : mon sort était à jamais fixé. Vers deux heures mon père m’a fait appeler dans son cabinet, où j’ai trouvé la duchesse et Macumer. Les paroles s’y sont gracieusement échangées. J’ai tout simplement répondu que, si monsieur Hénarez s’était entendu avec mon père, je n’avais aucune raison de m’opposer à leurs désirs. Là-dessus, ma mère a retenu le baron à dîner ; après quoi nous avons été tous quatre nous promener au bois de Boulogne. J’ai regardé très railleusement monsieur de Marsay quand il a passé à cheval, car il a remarqué Macumer et mon père sur le devant de la calèche.

Mon adorable Felipe a fait ainsi refaire ses cartes :

Hénarez,
Des ducs de Soria, baron de Macumer.