Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/138

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trouvé la satiété dans le plaisir, quand il se sentira, je ne dis pas avili, mais sans sa dignité devant toi, les reproches que lui fera sa conscience lui donneront une sorte de remords, blessant pour toi par cela même que tu te sentiras coupable. Enfin tu finiras par mépriser celui que tu ne te seras pas habituée à respecter. Songes-y. Le mépris chez la femme est la première forme que prend sa haine. Comme tu es noble de cœur, tu te souviendras toujours des sacrifices que Felipe t’aura faits ; mais il n’aura plus à t’en faire après s’être en quelque sorte servi lui-même dans ce premier festin, et malheur à l’homme comme à la femme qui ne laissent rien à souhaiter ! Tout est dit. À notre honte ou à notre gloire, je ne saurais décider ce point délicat, nous ne sommes exigeantes que pour l’homme qui nous aime !

Ô Louise, change, il en est temps encore. Tu peux, en te conduisant avec Macumer comme je me conduis avec l’Estorade, faire surgir le lion caché dans cet homme vraiment supérieur. On dirait que tu veux te venger de sa supériorité. Ne seras-tu donc pas fière d’exercer ton pouvoir autrement qu’à ton profit, de faire un homme de génie d’un homme grand, comme je fais un homme supérieur d’un homme ordinaire ?

Tu serais restée à la campagne, je t’aurais toujours écrit cette lettre ; j’eusse craint ta pétulance et ton esprit dans une conversation, tandis que je sais que tu réfléchiras à ton avenir en me lisant. Chère âme, tu as tout pour être heureuse, ne gâte pas ton bonheur, et retourne dès le mois de novembre à Paris. Les soins et l’entraînement du monde dont je me plaignais sont des diversions nécessaires à votre existence, peut-être un peu trop intime. Une femme mariée doit avoir sa coquetterie. La mère de famille qui ne laisse pas désirer sa présence en se rendant rare au sein du ménage risque d’y faire connaître la satiété. Si j’ai plusieurs enfants, ce que je souhaite pour mon bonheur, je te jure que dès qu’ils arriveront à un certain âge je me réserverai des heures pendant lesquelles je serai seule ; car il faut se faire demander par tout le monde, même par ses enfants. Adieu, chère jalouse ? Sais-tu qu’une femme vulgaire serait flattée de t’avoir causé ce mouvement de jalousie ? Hélas ! je ne puis que m’en affliger, car il n’y a en moi qu’une mère et une sincère amie. Mille tendresses. Enfin fais tout ce que tu voudras pour excuser ton départ : si tu n’es pas sûre de Felipe, je suis sûre de Louis.