Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/154

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sont chèrement achetés, il y a du moins des triomphes. Mais Dieu seul, car le père lui-même ne sait rien de cela, Dieu, toi ou les anges, vous seuls donc pourriez comprendre les regards que j’échange avec Mary quand, après avoir fini d’habiller nos deux petites créatures, nous les voyons propres au milieu des savons, des éponges, des peignes, des cuvettes, des papiers brouillards, des flanelles, des mille détails d’une véritable nursery. Je suis devenue Anglaise en ce point, je conviens que les femmes de ce pays ont le génie de la nourriture. Quoiqu’elles ne considèrent l’enfant qu’au point de vue du bien-être matériel et physique, elles ont raison dans leurs perfectionnements. Aussi mes enfants auront-ils toujours les pieds dans la flanelle et les jambes nues. Ils ne seront ni serrés ni comprimés ; mais aussi jamais ne seront-ils seuls. L’asservissement de l’enfant français dans ses bandelettes est la liberté de la nourrice, voilà le grand mot. Une vraie mère n’est pas libre : voilà pourquoi je ne t’écris pas, ayant sur les bras l’administration du domaine et deux enfants à élever. La science de la mère comporte des mérites silencieux, ignorés de tous, sans parade, une vertu en détail, un dévouement de toutes les heures. Il faut surveiller les soupes qui se font devant le feu. Me crois-tu femme à me dérober à un soin ? Dans le moindre soin, il y a de l’affection à récolter. Oh ! c’est si joli le sourire d’un enfant qui trouve son petit repas excellent. Armand a des hochements de tête qui valent toute une vie d’amour. Comment laisser à une autre femme le droit, le soin, le plaisir de souffler sur une cuillerée de soupe que Naïs trouvera trop chaude, elle que j’ai sevrée il y a sept mois, et qui se souvient toujours du sein ? Quand une bonne a brûlé la langue et les lèvres d’un enfant avec quelque chose de chaud, elle dit à la mère qui accourt que c’est la faim qui le fait crier. Mais comment une mère dort-elle en paix avec l’idée que des haleines impures peuvent passer sur les cuillerées avalées par son enfant, elle à qui la nature n’a pas permis d’avoir un intermédiaire entre son sein et les lèvres de son nourrisson ! Découper la côtelette de Naïs qui fait ses dernières dents et mélanger cette viande cuite à point avec des pommes de terre est une œuvre de patience, et vraiment il n’y a qu’une mère qui puisse savoir dans certains cas faire manger en entier le repas à un enfant qui s’impatiente. Ni domestiques nombreux ni bonne anglaise ne peuvent donc dispenser une mère de donner en personne sur le champ de bataille où la douceur doit lutter contre les petits cha-