Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/16

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à l’heure où l’on a servi le dîner et se lève au moment où monseigneur vient de rentrer, » m’a-t-elle dit. Je me suis mise à écrire. Vers une heure mon père a frappé à la porte de mon petit salon et m’a demandé si je pouvais le recevoir ; je lui ai ouvert la porte, il est entré et m’a trouvée t’écrivant. — « Ma chère, vous avez à vous habiller, à vous arranger ici ; vous trouverez douze mille francs dans cette bourse. C’est une année du revenu que je vous accorde pour votre entretien. Vous vous entendrez avec votre mère pour prendre une gouvernante qui vous convienne, si miss Griffith ne vous plaît pas ; car madame de Chaulieu n’aura pas le temps de vous accompagner le matin. Vous aurez une voiture à vos ordres et un domestique. » — « Laissez-moi Philippe, » lui dis-je. — « Soit, répondit-il. Mais n’ayez nul souci : votre fortune est assez considérable pour que vous ne soyez à charge ni à votre mère ni à moi. — « Serais-je indiscrète en vous demandant quelle est ma fortune ? » — « Nullement, mon enfant, a-t-il dit : votre grand’mère vous a laissé cinq cent mille francs qui étaient ses économies, car elle n’a point voulu frustrer sa famille d’un seul morceau de terre. Cette somme a été placée sur le grand-livre. L’accumulation des intérêts a produit aujourd’hui environ quarante mille francs de rente. Je voulais employer cette somme à constituer la fortune de votre second frère ; aussi dérangez-vous beaucoup mes projets ; mais dans quelque temps peut-être y concourrez-vous : j’attendrai tout de vous-même. Vous me paraissez plus raisonnable que je ne le croyais. Je n’ai pas besoin de vous dire comment se conduit une demoiselle de Chaulieu ; la fierté peinte dans vos traits est mon sûr garant. Dans notre maison, les précautions que prennent les petites gens pour leurs filles sont injurieuses. Une médisance sur votre compte peut coûter la vie à celui qui se la permettrait ou à l’un de vos frères si le ciel était injuste. Je ne vous en dirai pas davantage sur ce chapitre. Adieu, chère petite. » Il m’a baisée au front et s’est en allé. Après une persévérance de neuf années, je ne m’explique pas l’abandon de ce plan. Mon père a été d’une clarté que j’aime. Il n’y a dans sa parole aucune ambiguïté. Ma fortune doit être à son fils le marquis. Qui donc a eu des entrailles ? est-ce ma mère, est-ce mon père, serait-ce mon frère ?

Je suis restée assise sur le sofa de ma grand’mère, les yeux sur la bourse que mon père avait laissée sur la cheminée, à la fois satisfaite et mécontente de cette attention qui maintenait ma pensée sur