Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/185

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supportable. Faire de l’excès sa vie même, n’est-ce pas vivre malade ! Tu vis malade, en maintenant à l’état de passion un sentiment qui doit devenir dans le mariage une force égale et pure. Oui, mon ange, aujourd’hui je le reconnais : la gloire du ménage est précisément dans ce calme, dans cette profonde connaissance mutuelle, dans cet échange de biens et de maux que les plaisanteries vulgaires lui reprochent. Oh ! combien il est grand ce mot de la duchesse de Sully, la femme du grand Sully enfin, à qui l’on disait que son mari, quelque grave qu’il parût, ne se faisait pas scrupule d’avoir une maîtresse : — C’est tout simple, a-t-elle répondu, je suis l’honneur de la maison, et serais fort chagrine d’y jouer le rôle d’une courtisane. Plus voluptueuse que tendre, tu veux être et la femme et la maîtresse. Avec l’âme d’Héloïse et les sens de sainte Thérèse, tu te livres à des égarements sanctionnés par les lois ; en un mot, tu dépraves l’institution du mariage. Oui, toi qui me jugeais si sévèrement quand je paraissais immorale en acceptant, dès la veille de mon mariage, les moyens du bonheur ; en pliant tout à ton usage, tu mérites aujourd’hui les reproches que tu m’adressais. Eh ! quoi, tu veux asservir et la nature et la société à ton caprice ? Tu restes toi-même, tu ne te transformes point en ce que doit être une femme ; tu gardes les volontés, les exigences de la jeune fille, et tu portes dans ta passion les calculs les plus exacts, les plus mercantiles ; ne vends-tu pas très cher tes parures ? Je te trouve bien défiante avec toutes tes précautions. Oh ! chère Louise, si tu pouvais connaître les douceurs du travail que les mères font sur elles-mêmes pour être bonnes et tendres à toute leur famille ! L’indépendance et la fierté de mon caractère se sont fondues dans une mélancolie douce, et que les plaisirs maternels ont dissipée en la récompensant. Si la matinée fut difficile, le soir sera pur et serein. J’ai peur que ce soit tout le contraire pour ta vie.

En finissant ta lettre j’ai supplié Dieu de te faire passer une journée au milieu de nous pour te convertir à la famille, à ces joies indicibles, constantes, éternelles, parce qu’elles sont vraies, simples et dans la nature. Mais, hélas ! que peut ma raison contre une faute qui te rend heureuse ? J’ai les larmes aux yeux en t’écrivant ces derniers mots. J’ai cru franchement que plusieurs mois accordés à cet amour conjugal te rendraient la raison par la satiété ; mais je te vois insatiable, et après avoir tué un amant, tu en arriveras à tuer l’amour. Adieu, chère égarée, je désespère, puisque la lettre où