Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/191

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semaine, j’ai découvert qu’il va chercher des lettres à Sèvres ; il doit les déchirer aussitôt après les avoir lues, car malgré mes inventions de Figaro je n’en ai point trouvé de vestige. Hélas ! mon ange, malgré mes promesses et tous les beaux serments que je m’étais faits à moi-même à propos de la cravache, un mouvement d’âme qu’il faut appeler folie m’a poussée, et je l’ai suivi dans une de ses courses rapides au bureau de la poste. Gaston fut terrifié d’être surpris à cheval, payant le port d’une lettre qu’il tenait à la main. Après m’avoir regardée fixement, il a mis Fedelta au galop par un mouvement si rapide que je me sentis brisée en arrivant à la porte du bois dans un moment où je croyais ne pouvoir sentir aucune fatigue corporelle, tant mon âme souffrait ! Là, Gaston ne me dit rien, il sonne et attend, sans me parler. J’étais plus morte que vive. Ou j’avais raison ou j’avais tort ; mais, dans les deux cas, mon espionnage était indigne d’Armande-Louise-Marie de Chaulieu. Je roulais dans la fange sociale au-dessous de la grisette, de la fille mal élevée, côte à côte avec les courtisanes, les actrices, les créatures sans éducation. Quelles souffrances ! Enfin la porte s’ouvre, il remet son cheval à son groom, et je descends alors aussi, mais dans ses bras ; il me les tend ; je relève mon amazone sur mon bras gauche, je lui donne le bras droit, et nous allons… toujours silencieux. Les cent pas que nous avons faits ainsi peuvent me compter pour cent ans de purgatoire. À chaque pas des milliers de pensées, presque visibles, voltigeant en langues de feu sous mes yeux, me sautaient à l’âme, ayant chacune un dard, une épingle, un venin différent ! Quand le groom et les chevaux furent loin, j’arrête Gaston, je le regarde, et, avec un mouvement que tu dois voir, je lui dis, en lui montrant la fatale lettre qu’il tenait toujours dans sa main droite : — Laisse-la-moi lire. Il me la donne, je la décachète, et lis une lettre par laquelle Nathan, l’auteur dramatique, lui disait que l’une de nos pièces, reçue, apprise et mise en répétition, allait être jouée samedi prochain. La lettre contenait un coupon de loge. Quoique pour moi ce fût aller du martyre au ciel, le démon me criait toujours, pour troubler ma joie : — Où sont les trente mille francs ? Et la dignité, l’honneur, tout mon ancien moi m’empêchaient de faire une question ; je l’avais sur les lèvres ; je savais que si ma pensée devenait une parole, il fallait me jeter dans mon étang, et je résistais à peine au désir de parler ; ne souffrais-je pas alors au-dessus des forces de la femme ? — Tu t’ennuies, mon