Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/209

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considérable que celle de sa sœur aînée mariée au comte Félix de Vandenesse. De leur côté, les Granville avaient jadis obtenu cette alliance avec les Vandenesse par l’énormité de la dot. Ainsi, la Banque avait réparé la brèche faite à la Magistrature par la Noblesse. Si le comte de Vandenesse s’était pu voir, à trois ans de distance, beau-frère d’un sieur Ferdinand dit du Tillet, il n’eût peut-être pas épousé sa femme ; mais quel homme aurait, vers la fin de 1828, prévu les étranges bouleversements que 1830 devait apporter dans l’état politique, dans les fortunes et dans la morale de la France ? Il eût passé pour fou, celui qui aurait dit au comte Félix de Vandenesse que, dans ce chassez-croisez, il perdrait sa couronne de pair et qu’elle se retrouverait sur la tête de son beau-père.

Ramassée sur une de ces chaises basses appelées chauffeuses, dans la pose d’une femme attentive, madame du Tillet pressait sur sa poitrine avec une tendresse maternelle et baisait parfois la main de sa sœur, madame Félix de Vandenesse. Dans le monde, on joignait au nom de famille le nom de baptême, pour distinguer la comtesse de sa belle-sœur, la marquise, femme de l’ancien ambassadeur Charles de Vandenesse, qui avait épousé la riche veuve du comte de Kergarouët, une demoiselle de Fontaine. À demi renversée sur une causeuse, un mouchoir dans l’autre main, la respiration embarrassée par des sanglots réprimés, les yeux mouillés, la comtesse venait de faire de ces confidences qui ne se font que de sœur à sœur, quand deux sœurs s’aiment ; et ces deux sœurs s’aimaient tendrement. Nous vivons dans un temps où deux sœurs si bizarrement mariées peuvent si bien ne pas s’aimer qu’un historien est tenu de rapporter les causes de cette tendresse, conservée sans accrocs ni taches au milieu des dédains de leurs maris l’un pour l’autre et des désunions sociales. Un rapide aperçu de leur enfance expliquera leur situation respective.

Élevées dans un sombre hôtel du Marais par une femme dévote et d’une intelligence étroite qui, pénétrée de ses devoirs, la phrase classique, avait accompli la première tâche d’une mère envers ses filles, Marie-Angélique et Marie-Eugénie atteignirent le moment de leur mariage, la première à vingt ans, la seconde à dix-sept, sans jamais être sorties de la zone domestique où planait le regard maternel. Jusqu’alors elles n’étaient allées à aucun spectacle, les églises de Paris furent leurs théâtres. Enfin leur éducation