Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/239

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avait été remarqué par ses fausses amies. La comtesse s’approcha du divan carré placé au milieu du salon où pérorait Raoul. Elle se tint debout donnant le bras à madame Octave de Camps, excellente femme qui lui garda le secret sur les tremblements involontaires par lesquels se trahissaient ses violentes émotions. Quoique l’œil d’une femme éprise ou surprise laisse échapper d’incroyables douceurs, Raoul tirait en ce moment un véritable feu d’artifice ; il était trop au milieu de ses épigrammes qui partaient comme des fusées, de ses accusations enroulées et déroulées comme des soleils, des flamboyants portraits qu’il dessinait en traits de feu, pour remarquer la naïve admiration d’une pauvre petite Ève, cachée dans le groupe de femmes qui l’entouraient. Cette curiosité, semblable à celle qui précipiterait Paris vers le Jardin-des-Plantes pour y voir une licorne, si l’on en trouvait une dans ces célèbres montagnes de la Lune, encore vierges des pas d’un Européen, enivre les esprits secondaires autant qu’elle attriste les âmes vraiment élevées ; mais elle enchantait Raoul : il était donc trop à toutes les femmes pour être à une seule.

— Prenez garde, ma chère, dit à l’oreille de Marie sa gracieuse et adorable compagne, allez-vous-en.

La comtesse regarda son mari pour lui demander son bras par une de ces œillades que les maris ne comprennent pas toujours : Félix l’emmena.

— Mon cher, dit madame d’Espard à l’oreille de Raoul, vous êtes un heureux coquin. Vous avez fait ce soir plus d’une conquête, mais entre autres, celle de la charmante femme qui nous a si brusquement quittés.

— Sais-tu ce que la marquise d’Espard a voulu me dire ? demanda Raoul à Blondet en lui rappelant le propos de cette grande dame quand ils furent à peu près seuls, entre une heure et deux du matin.

— Mais je viens d’apprendre que la comtesse de Vandenesse est tombée amoureuse-folle de toi. Tu n’es pas à plaindre.

— Je ne l’ai pas vue, dit Raoul.

— Oh ! tu la verras, fripon, dit Émile Blondet en éclatant de rire. Lady Dudley t’a engagé à son grand bal précisément pour que tu la rencontres.

Raoul et Blondet partirent ensemble avec Rastignac, qui leur offrit sa voiture. Tous trois se mirent à rire de la réunion d’un sous-