Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/251

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ce monde se haïssait ou s’aimait suivant les circonstances. Cette maison banale, où il suffisait d’être célèbre pour y être reçu, était comme le mauvais lieu de l’esprit et comme le bagne de l’intelligence : on n’y entrait pas sans avoir légalement attrapé sa fortune, fait dix ans de misère, égorgé deux ou trois passions, acquis une célébrité quelconque par des livres ou par des gilets, par un drame ou par un bel équipage ; on y complotait les mauvais tours à jouer, on y scrutait les moyens de fortune, on s’y moquait des émeutes qu’on avait fomentées la veille, on y soupesait la hausse et la baisse. Chaque homme, en sortant, reprenait la livrée de son opinion ; il pouvait, sans se compromettre, critiquer son propre parti, avouer la science et le bien-jouer de ses adversaires, formuler les pensées que personne n’avoue, enfin tout dire en gens qui pouvaient tout faire. Paris est le seul lieu du monde où il existe de ces maisons éclectiques où tous les goûts, tous les vices, toutes les opinions sont reçus avec une mise décente. Aussi n’est-il pas dit encore que Florine reste une comédienne du second ordre. La vie de Florine n’est pas d’ailleurs une vie oisive ni une vie à envier. Beaucoup de gens, séduits par le magnifique piédestal que le Théâtre fait à une femme, la supposent menant la joie d’un perpétuel carnaval. Au fond de bien des loges de portiers, sous la tuile de plus d’une mansarde, de pauvres créatures rêvent, au retour du spectacle, perles et diamants, robes lamées d’or et cordelières somptueuses, se voient les chevelures illuminées, se supposent applaudies, achetées, adorées, enlevées ; mais toutes ignorent les réalités de cette vie de cheval de manége où l’actrice est soumise à des répétitions sous peine d’amende, à des lectures de pièces, à des études constantes de rôles nouveaux, par un temps où l’on joue deux ou trois cents pièces par an à Paris. Pendant chaque représentation, Florine change deux ou trois fois de costume, et rentre souvent dans sa loge, épuisée, demi-morte. Elle est obligée alors d’enlever à grand renfort de cosmétique son rouge ou son blanc, de se dépoudrer si elle a joué un rôle du dix-huitième siècle. À peine a-t-elle eu le temps de dîner. Quand elle joue, une actrice ne peut ni se serrer, ni manger, ni parler. Florine n’a pas plus le temps de souper. Au retour de ces représentations qui, de nos jours, finissent le lendemain, n’a-t-elle pas sa toilette de nuit à faire, ses ordres à donner ? Couchée à une ou deux heures du matin, elle doit se lever assez matinalement pour repasser ses rôles, ordonner les costumes, les expliquer,