Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/253

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on a dû la Champmeslé à Racine, comme Mars à Monvel et à Andrieux. Florine ne pouvait rien pour Raoul, elle aurait bien voulu lui être utile ou nécessaire. Elle comptait sur les alléchements de l’habitude, elle était toujours prête à ouvrir ses salons, à déployer le luxe de sa table pour ses projets, pour ses amis. Enfin, elle aspirait à être pour lui ce qu’était madame Pompadour pour Louis XV. Les actrices enviaient la position de Florine, comme quelques journalistes enviaient celle de Raoul. Maintenant, ceux à qui la pente de l’esprit humain vers les oppositions et les contraires est connue concevront bien qu’après dix ans de cette vie débraillée, bohémienne, pleine de hauts et de bas, de fêtes et de saisies, de sobriétés et d’orgies, Raoul fût entraîné vers un amour chaste et pur, vers la maison douce et harmonieuse d’une grande dame, de même que la comtesse Félix désirait introduire les tourmentes de la passion dans sa vie monotone à force de bonheur. Cette loi de la vie est celle de tous les arts qui n’existent que par les contrastes. L’œuvre faite sans cette ressource est la dernière expression du génie, comme le cloître est le plus grand effort du chrétien.

En rentrant chez lui, Raoul trouva deux mots de Florine apportés par la femme de chambre, un sommeil invincible ne lui permit pas de les lire ; il se coucha dans les fraîches délices du suave amour qui manquait à sa vie. Quelques heures après, il lut dans cette lettre d’importantes nouvelles que ni Rastignac ni de Marsay n’avaient laissé transpirer. Une indiscrétion avait appris à l’actrice la dissolution de la chambre après la session. Raoul vint chez Florine aussitôt et envoya querir Blondet. Dans le boudoir de la comédienne, Émile et Raoul analysèrent, les pieds sur les chenets, la situation politique de la France en 1834. De quel côté se trouvaient les meilleures chances de fortune ? Ils passèrent en revue les républicains purs, républicains à présidence, républicains sans république, constitutionnels sans dynastie, constitutionnels dynastiques, ministériels conservateurs, ministériels absolutistes ; puis la droite à concessions, la droite aristocratique, la droite légitimiste, henriquinquiste, et la droite carliste. Quant au parti de la Résistance et à celui du Mouvement, il n’y avait pas à hésiter : autant aurait valu discuter la vie ou la mort.

À cette époque, une foule de journaux créés pour chaque nuance accusaient l’effroyable pêle-mêle politique appelé gâchis par un soldat. Blondet, l’esprit le plus judicieux de l’époque, mais judicieux