Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/264

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le langage, mais les choses qui parlent ; elles parlent tant que souvent un homme épris laisse à d’autres le soin d’apporter une tasse, le sucrier pour le thé, le je ne sais quoi que demande la femme qu’il aime, de peur de montrer son trouble à des yeux qui semblent ne rien voir et voient tout. Des myriades de désirs, de souhaits insensés, de pensées violentes passent étouffés dans les regards. Là, les serrements de main dérobés aux mille yeux d’argus acquièrent l’éloquence d’une longue lettre et la volupté d’un baiser. L’amour se grossit alors de tout ce qu’il se refuse, il s’appuie sur tous les obstacles pour se grandir. Enfin ces barrières, plus souvent maudites que franchies, sont hachées et jetées au feu pour l’entretenir. Là, les femmes peuvent mesurer l’étendue de leur pouvoir dans la petitesse à laquelle arrive un immense amour qui se replie sur lui-même, se cache dans un regard altéré, dans une contraction nerveuse, derrière une banale formule de politesse. Combien de fois, sur la dernière marche d’un escalier, n’a-t-on pas récompensé par un seul mot les tourments inconnus, le langage insignifiant de toute une soirée ? Raoul, homme peu soucieux du monde, lâcha sa colère dans le discours, et fut étincelant. Chacun entendit les rugissements inspirés par la contrariété que les artistes savent si peu supporter. Cette fureur à la Roland, cet esprit qui cassait, brisait tout, en se servant de l’épigramme comme d’une massue, enivra Marie et amusa le cercle comme si l’on eût vu quelque taureau bardé de banderoles en fureur dans un cirque espagnol.

— Tu auras beau tout abattre, tu ne feras pas la solitude autour de toi, lui dit Blondet.

Ce mot rendit à Raoul sa présence d’esprit, il cessa de donner son irritation en spectacle. La marquise vint lui offrir une tasse de thé, et dit assez haut pour que madame de Vandenesse entendît : — Vous êtes vraiment bien amusant, venez donc quelquefois me voir à quatre heures.

Raoul s’offensa du mot amusant, quoiqu’il eût été pris pour servir de passe-port à l’invitation. Il se mit à écouter comme ces acteurs qui regardent la salle au lieu d’être en scène. Blondet eut pitié de lui.

— Mon cher, lui dit-il en l’emmenant dans un coin, tu te tiens dans le monde comme si tu étais chez Florine. Ici, l’on ne s’emporte jamais, on ne fait pas de longs articles, on dit de temps en