Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/267

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che, mêlée aux affaires les plus compliquées, au travail le plus exigeant. Quand deux êtres unis par un éternel amour mènent une vie resserrée chaque jour par les nœuds de la confidence, par l’examen en commun des difficultés surgies ; quand deux cœurs échangent le soir ou le matin leurs regrets, comme la bouche échange les soupirs, s’attendent dans de mêmes anxiétés, palpitent ensemble à la vue d’un obstacle, tout compte alors : une femme sait combien d’amour dans un retard évité, combien d’efforts dans une course rapide ; elle s’occupe, va, vient, espère, s’agite avec l’homme occupé, tourmenté ; ses murmures, elle les adresse aux choses ; elle ne doute plus, elle connaît et apprécie les détails de la vie. Mais au début d’une passion où tant d’ardeur, de défiances, d’exigences se déploient, où l’on ne se sait ni l’un ni l’autre ; mais auprès des femmes oisives, à la porte desquelles l’amour doit être toujours en faction ; mais auprès de celles qui s’exagèrent leur dignité et veulent être obéies en tout, même quand elles ordonnent une faute à ruiner un homme, l’amour comporte à Paris, dans notre époque, des travaux impossibles. Les femmes du monde sont restées sous l’empire des traditions du dix-huitième siècle où chacun avait une position sûre et définie. Peu de femmes connaissent les embarras de l’existence chez la plupart des hommes, qui tous ont une position à se faire, une gloire en train, une fortune à consolider. Aujourd’hui, les gens dont la fortune est assise se comptent, les vieillards seuls ont le temps d’aimer, les jeunes gens rament sur les galères de l’ambition comme y ramait Nathan. Les femmes, encore peu résignées à ce changement dans les mœurs, prêtent le temps qu’elles ont de trop à ceux qui n’en ont pas assez ; elles n’imaginent pas d’autres occupations, d’autre but que les leurs. Quand l’amant aurait vaincu l’hydre de Lerne pour arriver, il n’a pas le moindre mérite ; tout s’efface devant le bonheur de le voir ; elles ne lui savent gré que de leurs émotions, sans s’informer de ce qu’elles coûtent. Si elles ont inventé dans leurs heures oisives un de ces stratagèmes qu’elles ont à commandement, elles le font briller comme un bijou. Vous avez tordu les barres de fer de quelque nécessité tandis qu’elles chaussaient la mitaine, endossaient le manteau d’une ruse : à elles la palme, et ne la leur disputez point. Elles ont raison d’ailleurs, comment ne pas tout briser pour une femme qui brise tout pour vous ? elles exigent autant qu’elles donnent. Raoul aperçut en revenant combien il lui serait difficile de mener un amour dans le monde,