Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/273

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pour le gronder sans le pouvoir, en lui voyant dissiper ce temps qui lui était si nécessaire. Marie prit la direction des travaux de Raoul, elle lui intima des ordres formels sur l’emploi de ses heures, demeura chez elle pour lui ôter tout prétexte de dissipation. Elle lisait tous les matins le journal, et devint le héraut de la gloire d’Étienne Lousteau, le feuilletoniste, qu’elle trouvait ravissant, de Félicien Vernou, de Claude Vignon, de tous les rédacteurs. Elle donna le conseil à Raoul de rendre justice à de Marsay quand il mourut, et lut avec ivresse le grand et bel éloge que Raoul fit du ministre mort, tout en blâmant son machiavélisme et sa haine pour les masses. Elle assista naturellement, à l’avant-scène du Gymnase, à la première représentation de la pièce sur laquelle Nathan comptait pour soutenir son entreprise, et dont le succès parut immense. Elle fut la dupe des applaudissements achetés.

— Vous n’êtes pas venu dire adieu aux Italiens ? lui demanda lady Dudley chez laquelle elle se rendit après cette représentation.

— Non, je suis allée au Gymnase. On donnait une première représentation.

— Je ne puis souffrir le vaudeville. Je suis pour cela comme Louis XIV pour les Téniers, dit lady Dudley.

— Moi, répondit madame d’Espard, je trouve que les auteurs ont fait des progrès. Les vaudevilles sont aujourd’hui de charmantes comédies, pleines d’esprit, qui demandent beaucoup de talent, et je m’y amuse fort.

— Les acteurs sont d’ailleurs excellents, dit Marie. Ceux du Gymnase ont très-bien joué ce soir ; la pièce leur plaisait, le dialogue est fin, spirituel.

— Comme celui de Beaumarchais, dit lady Dudley.

— Monsieur Nathan n’est point encore Molière ; mais… dit madame d’Espard en regardant la comtesse.

— Il fait des vaudevilles, dit madame Charles de Vandenesse.

— Et défait des ministères, reprit madame de Manerville.

La comtesse garda le silence ; elle cherchait à répondre par des épigrammes acérées ; elle se sentait le cœur agité par des mouvements de rage ; elle ne trouva rien de mieux que dire : — Il en fera peut-être.

Toutes les femmes échangèrent un regard de mystérieuse intelligence. Quand Marie de Vandenesse partit, Moïna de Saint-Héeren s’écria : — Mais elle adore Nathan !