Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/28

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qui doit revenir à ladite Renée dans leurs successions. Dès sa majorité, mon frère cadet, Jean de Maucombe, a reconnu avoir reçu de ses parents un avancement d’hoirie équivalant au tiers de l’héritage. Voilà comment les familles nobles de la Provence éludent l’infâme Code civil du sieur de Buonaparte, qui fera mettre au couvent autant de filles nobles qu’il en a fait marier. La noblesse française est, d’après le peu que j’ai entendu dire à ce sujet, très-divisée sur ces graves matières.

Ce dîner, ma chère mignonne, était une entrevue entre ta biche et l’exilé. Procédons par ordre. Les gens du comte de Maucombe se sont revêtus de leurs vieilles livrées galonnées, de leurs chapeaux bordés : le cocher a pris ses grandes bottes à chaudron, nous avons tenu cinq dans le vieux carrosse, et nous sommes arrivés en toute majesté vers deux heures, pour dîner à trois, à la bastide où demeure le baron de l’Estorade. Le beau-père n’a point de château, mais une simple maison de campagne, située au pied d’une de nos collines, au débouché de notre belle vallée dont l’orgueil est certes le vieux castel de Maucombe. Cette bastide est une bastide : quatre murailles de cailloux revêtues d’un ciment jaunâtre, couvertes de tuiles creuses d’un beau rouge. Les toits plient sous le poids de cette briqueterie. Les fenêtres percées au travers sans aucune symétrie ont des volets énormes peints en jaune. Le jardin qui entoure cette habitation est un jardin de Provence, entouré de petits murs bâtis en gros cailloux ronds mis par couches, et où le génie du maçon éclate dans la manière dont il les dispose alternativement inclinés ou debout sur leur hauteur : la couche de boue qui les recouvre tombe par places. La tournure domaniale de cette bastide vient d’une grille, à l’entrée, sur le chemin. On a longtemps pleuré pour avoir cette grille ; elle est si maigre qu’elle m’a rappelé la sœur Angélique. La maison a un perron en pierre, la porte est décorée d’un auvent que ne voudrait pas un paysan de la Loire pour son élégante maison en pierre blanche à toiture bleue, où rit le soleil. Le jardin, les alentours sont horriblement poudreux, les arbres sont brûlés. On voit que, depuis longtemps, la vie du baron consiste à se lever, se coucher et se relever le lendemain sans nul souci que celui d’entasser sou sur sou. Il mange ce que mangent ses deux domestiques, qui sont un garçon provençal et la vieille femme de chambre de sa femme. Les pièces ont peu de mobilier. Cependant