Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/280

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— Il ne lui manquait plus que d’être dupe des intrigants, répondit le comte.

Félix, à qui l’habitude du monde et de la politique permettait de voir clair, avait pénétré la situation de Raoul. Il expliqua tranquillement à sa femme que la tentative de Fieschi avait eu pour résultat de rattacher beaucoup de gens tièdes aux intérêts menacés dans la personne du roi Louis-Philippe. Les journaux dont la couleur n’était pas tranchée y perdraient leurs abonnés, car le journalisme allait se simplifier avec la politique. Si Nathan avait mis sa fortune dans son journal, il périrait bientôt. Ce coup d’œil si juste, si net, quoique succinct et jeté dans l’intention d’approfondir une question sans intérêt, par un homme qui savait calculer les chances de tous les partis, effraya madame de Vandenesse.

— Vous vous intéressez donc bien à lui ? demanda Félix à sa femme.

— Comme à un homme dont l’esprit m’amuse, dont la conversation me plaît.

Cette réponse fut faite d’un air si naturel que le comte ne soupçonna rien.

Le lendemain à quatre heures, chez madame d’Espard, Marie et Raoul eurent une longue conversation à voix basse. La comtesse exprima des craintes que Raoul dissipa, trop heureux d’abattre sous des épigrammes la grandeur conjugale de Félix. Nathan avait une revanche à prendre. Il peignit le comte comme un petit esprit, comme un homme arriéré, qui voulait juger la Révolution de Juillet avec la mesure de la Restauration, qui se refusait à voir le triomphe de la classe moyenne, la nouvelle force des sociétés, temporaire ou durable, mais réelle. Il n’y avait plus de grands seigneurs possibles, le règne des véritables supériorités arrivait. Au lieu d’étudier les avis indirects et impartiaux d’un homme politique interrogé sans passion, Raoul parada, monta sur des échasses, et se drapa dans la pourpre de son succès. Quelle est la femme qui ne croit pas plus à son amant qu’à son mari ?

Madame de Vandenesse rassurée commença donc cette vie d’irritations réprimées, de petites jouissances dérobées, de serrements de main clandestins, sa nourriture de l’hiver dernier, mais qui finit par entraîner une femme au delà des bornes quand l’homme qu’elle aime a quelque résolution et s’impatiente des entraves. Heureusement pour elle, Raoul modéré par Florine n’était pas dangereux. D’ailleurs