Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/332

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ment refusées, enfin ses plus secrets désirs étaient accomplis par cette exclamation qu’embellissaient encore les plus douces flatteries du cœur et cette admiration toujours avidement savourée par les femmes. Elle était donc entendue et comprise, monsieur de Nueil lui donnait tout naturellement l’occasion de se grandir de sa chute. Elle regarda la pendule.

— Oh ! madame, s’écria Gaston, ne me punissez pas de mon étourderie. Si vous ne m’accordez qu’une soirée, daignez ne pas l’abréger encore.

Elle sourit du compliment.

— Mais, dit-elle, puisque nous ne devons plus nous revoir, qu’importe un moment de plus ou de moins ? Si je vous plaisais, ce serait un malheur.

— Un malheur tout venu, répondit-il tristement.

— Ne me dites pas cela, reprit-elle gravement. Dans toute autre position je vous recevrais avec plaisir. Je vais vous parler sans détour, vous comprendrez pourquoi je ne veux pas, pourquoi je ne dois pas vous revoir. Je vous crois l’âme trop grande pour ne pas sentir que si j’étais seulement soupçonnée d’une seconde faute, je deviendrais, pour tout le monde, une femme méprisable et vulgaire, je ressemblerais aux autres femmes. Une vie pure et sans tache donnera donc du relief à mon caractère. Je suis trop fière pour ne pas essayer de demeurer au milieu de la Société comme un être à part, victime des lois par mon mariage, victime des hommes par mon amour. Si je ne restais pas fidèle à ma position, je mériterais tout le blâme qui m’accable, et perdrais ma propre estime. Je n’ai pas eu la haute vertu sociale d’appartenir à un homme que je n’aimais pas. J’ai brisé, malgré les lois, les liens du mariage : c’était un tort, un crime, ce sera tout ce que vous voudrez ; mais pour moi cet état équivalait à la mort. J’ai voulu vivre. Si j’eusse été mère, peut-être aurais-je trouvé des forces pour supporter le supplice d’un mariage, imposé par les convenances. À dix-huit ans, nous ne savons guère, pauvres jeunes filles, ce que l’on nous fait faire. J’ai violé les lois du monde, le monde m’a punie ; nous étions justes l’un et l’autre. J’ai cherché le bonheur. N’est-ce pas une loi de notre nature que d’être heureuses ? J’étais jeune, j’étais belle… J’ai cru rencontrer un être aussi aimant qu’il paraissait passionné. J’ai été bien aimée pendant un moment !…