Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/347

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devait être la première à l’engager à se marier. Enfin cette bonne mère n’oubliait aucun des moyens d’action par lesquels une femme peut influer sur la raison d’un homme. Aussi avait-elle amené son fils à chanceler. La lettre de madame de Beauséant arriva dans un moment où l’amour de Gaston luttait contre toutes les séductions d’une vie arrangée convenablement et conforme aux idées du monde ; mais cette lettre décida le combat. Il résolut de quitter la marquise et de se marier.

— Il faut être homme dans la vie ! se dit-il.

Puis il soupçonna les douleurs que sa résolution causerait à sa maîtresse. Sa vanité d’homme autant que sa conscience d’amant les lui grandissant encore, il fut pris d’une sincère pitié. Il ressentit tout d’un coup cet immense malheur, et crut nécessaire, charitable d’amortir cette mortelle blessure. Il espéra pouvoir amener madame de Beauséant à un état calme, et se faire ordonner par elle ce cruel mariage, en l’accoutumant par degrés à l’idée d’une séparation nécessaire, en laissant toujours entre eux mademoiselle de La Rodière comme un fantôme, et en la lui sacrifiant d’abord pour se la faire imposer plus tard. Il allait, pour réussir dans cette compatissante entreprise, jusqu’à compter sur la noblesse, la fierté de la marquise, et sur les belles qualités de son âme. Il lui répondit alors afin d’endormir ses soupçons.

Répondre ! Pour une femme qui joignait à l’intuition de l’amour vrai les perceptions les plus délicates de l’esprit féminin, la lettre était un arrêt. Aussi, quand Jacques entra, qu’il s’avança vers madame de Beauséant pour lui remettre un papier plié triangulairement, la pauvre femme tressaillit-elle comme une hirondelle prise. Un froid inconnu tomba de sa tête à ses pieds, en l’enveloppant d’un linceul de glace. S’il n’accourait pas à ses genoux, s’il n’y venait pas pleurant, pâle, amoureux, tout était dit. Cependant il y a tant d’espérances dans le cœur des femmes qui aiment ! il faut bien des coups de poignard pour les tuer, elles aiment et saignent jusqu’au dernier.

— Madame a-t-elle besoin de quelque chose, demanda Jacques d’une voix douce en se retirant.

— Non, dit-elle.

— Pauvre homme ! pensa-t-elle en essuyant une larme, il me devine, lui, un valet !

Elle lut : Ma bien-aimée, tu te crées des chimères.. En