Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/366

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Ma mère aimée, dit enfin Louis, pourquoi me cachez-vous vos souffrances ?

— Mon fils, répondit-elle, nous devons ensevelir nos peines aux yeux des étrangers, leur montrer un visage riant, ne jamais leur parler de nous, nous occuper d’eux : ces maximes pratiquées en famille y sont une des causes du bonheur. Tu auras à souffrir beaucoup un jour ! Eh ! bien, souviens-toi de ta pauvre mère qui se mourait devant toi en te souriant toujours, et te cachait ses douleurs ; tu te trouveras alors du courage pour supporter les maux de la vie.

En ce moment, dévorant ses larmes, elle tâcha de révéler à son fils le mécanisme de l’existence, la valeur, l’assiette, la consistance des fortunes, les rapports sociaux, les moyens honorables d’amasser l’argent nécessaire aux besoins de la vie, et la nécessité de l’instruction. Puis elle lui apprit une des causes de sa tristesse habituelle et de ses pleurs, en lui disant que, le lendemain de sa mort, lui et Marie seraient dans le plus grand dénuement, ne possédant, à eux deux, qu’une faible somme, n’ayant plus d’autre protecteur que Dieu.

— Comme il faut que je me dépêche d’apprendre ! s’écria l’enfant en lançant à sa mère un regard plaintif et profond.

— Ah ! que je suis heureuse, dit-elle en couvrant son fils de baisers et de larmes. Il me comprend ! — Louis, ajouta-t-elle, tu seras le tuteur de ton frère, n’est-ce pas, tu me le promets ? Tu n’es plus un enfant !

— Oui, répondit-il, mais vous ne mourrez pas encore, dites ?

— Pauvres petits, répondit-elle, mon amour pour vous me soutient ! Puis ce pays est si beau, l’air y est si bienfaisant, peut-être…

— Vous me faites encore mieux aimer la Touraine, dit l’enfant tout ému.

Depuis ce jour où madame Willemsens, prévoyant sa mort prochaine, avait parlé à son fils aîné de son sort à venir, Louis, qui avait achevé sa quatorzième année, devint moins distrait, plus appliqué, moins disposé à jouer qu’auparavant. Soit qu’il sût persuader à Marie de lire au lieu de se livrer à des distractions bruyantes, les deux enfants firent moins de tapage à travers les chemins creux, les jardins, les terrasses étagées de la Grenadière. Ils conformèrent leur vie à la pensée mélancolique de leur mère dont le teint pâlissait