Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/374

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main, ils se disposèrent à la quitter avec Annette, confiant tout aux soins du closier, et le chargeant de répondre à la justice.

Ce fut alors que la vieille femme de charge appela Louis sur les marches de la pompe, le prit à part et lui dit : — Monsieur Louis, voici l’anneau de madame !

L’enfant pleura, tout ému de retrouver un vivant souvenir de sa mère morte. Dans sa force, il n’avait point songé à ce soin suprême. Il embrassa la vieille femme. Puis ils partirent tous trois par le chemin creux, descendirent la rampe et allèrent à Tours sans détourner la tête.

— Maman venait par là, dit Marie en arrivant au pont.

Annette avait une vieille cousine, ancienne couturière retirée à Tours, rue de la Guerche. Elle mena les deux enfants dans la maison de sa parente avec laquelle elle pensait à vivre en commun. Mais Louis lui expliqua ses projets, lui rendit l’acte de naissance de Marie et les dix mille francs ; puis, accompagné de la vieille femme de charge, il conduisit le lendemain son frère au collége. Il mit le principal au fait de sa situation, mais fort succinctement, et sortit en emmenant son frère jusqu’à la porte. Là, il lui fit solennellement les recommandations les plus tendres en lui annonçant sa solitude dans le monde ; et, après l’avoir contemplé pendant un moment, il l’embrassa, le regarda encore, essuya une larme, et partit en se retournant à plusieurs reprises pour voir jusqu’au dernier moment son frère resté sur le seuil du collége.

Un mois après, Louis Gaston était en qualité de novice à bord d’un vaisseau de l’Etat, et sortait de la rade de Rochefort. Appuyé sur le bastingage de la corvette l’Iris, il regardait les côtes de France qui fuyaient rapidement et s’effaçaient dans la ligne bleuâtre de l’horizon. Bientôt il se trouva seul et perdu au milieu de l’Océan, comme il l’était dans le monde et dans la vie.

— Il ne faut pas pleurer, jeune homme ! il y a un Dieu pour tout le monde, lui dit un vieux matelot de sa grosse voix tout à la fois rude et bonne.

L’enfant remercia cet homme par un regard plein de fierté. Puis il baissa la tête en se résignant à la vie des marins. Il était devenu père.

Angoulême, août 1832.