Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/418

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diamants ! et pas cher. Ah ! ah ! Wertrust et Gigonnet, vous avez cru attraper le vieux papa Gobseck ! Ego sum papa ! je suis votre maître à tous ! Intégralement payé ! Comme ils seront sots, ce soir, quand je leur conterai l’affaire, entre deux parties de domino ! Cette joie sombre, cette férocité de sauvage, excitées par la possession de quelques cailloux blancs, me firent tressaillir. J’étais muet et stupéfait. — Ah, ah ! te voilà, mon garçon, dit-il. Nous dînerons ensemble. Nous nous amuserons chez toi, je n’ai pas de ménage. Tous ces restaurateurs, avec leurs coulis, leurs sauces, leurs vins, empoisonneraient le diable. L’expression de mon visage lui rendit subitement sa froide impassibilité. — Vous ne concevez pas cela, me dit-il en s’asseyant au coin de son foyer où il mit son poêlon de fer-blanc plein de lait sur le réchaud. — Voulez-vous déjeuner avec moi ? reprit-il, il y en aura peut-être assez pour deux. — Merci, répondis-je, je ne déjeune qu’à midi. En ce moment des pas précipités retentirent dans le corridor. L’inconnu qui survenait s’arrêta sur le palier de Gobseck, et frappa plusieurs coups qui eurent un caractère de fureur. L’usurier alla reconnaître par la chatière, et ouvrit à un homme de trente-cinq ans environ, qui sans doute lui parut inoffensif, malgré cette colère. Le survenant simplement vêtu, ressemblait au feu duc de Richelieu : c’était le comte que vous avez dû rencontrer et qui avait, passez-moi cette expression, la tournure aristocratique des hommes d’État de votre faubourg. — Monsieur, dit-il, en s’adressant à Gobseck redevenu calme, ma femme sort d’ici ? — Possible. — Eh ! bien, monsieur, ne me comprenez-vous pas ? — Je n’ai pas l’honneur de connaître madame votre épouse, répondit l’usurier. J’ai reçu beaucoup de monde ce matin : des femmes, des hommes, des demoiselles qui ressemblaient à des jeunes gens, et des jeunes gens qui ressemblaient à des demoiselles… Il me serait bien difficile de… — Trêve de plaisanterie, monsieur, je parle de la femme qui sort à l’instant de chez vous. — Comment puis-je savoir si elle est votre femme, demanda l’usurier, je n’ai jamais eu l’avantage de vous voir. — Vous vous trompez, monsieur Gobseck, dit le comte avec un profond accent d’ironie. Nous nous sommes rencontrés dans la chambre de ma femme, un matin. Vous veniez toucher un billet souscrit par elle, un billet qu’elle ne devait pas. — Ce n’était pas mon affaire de rechercher de quelle manière elle en avait reçu la valeur, répliqua Gobseck en lançant un regard