Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/445

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et nous y réussissions. Aussi, quel charme nos escapades n’avaient-elles pas ? D’elle, je ne vous dirai rien : alors parfaite, elle passe encore aujourd’hui pour une des belles femmes de Paris ; mais alors on se serait fait tuer pour obtenir un de ses regards. Elle était restée dans une situation de fortune satisfaisante pour une femme adorée et qui aimait, mais que la Restauration, à laquelle elle devait un lustre nouveau, rendait peu convenable relativement à son nom. Dans ma situation, j’avais la fatuité de ne pas concevoir un soupçon. Quoique ma jalousie fût alors d’une puissance de cent vingt Othello, ce sentiment terrible sommeillait en moi comme l’or dans sa pépite. Je me serais fait donner des coups de bâton par mon domestique si j’avais eu la lâcheté de mettre en question la pureté de cet ange si frêle et si fort, si blond et si naïf, pur, candide, et dont l’œil bleu ne se laissait pénétrer à fond de cœur, avec une adorable soumission par mon regard. Jamais la moindre hésitation dans la pose, dans le regard ou la parole ; toujours blanche, fraîche, et prête au bien-aimé comme le lis oriental du Cantique des Cantiques !… Ah ! mes amis ! s’écria douloureusement le ministre redevenu jeune homme, il faut se heurter bien durement la tête au dessus de marbre pour dissiper cette poésie !

Ce cri naturel, qui eut de l’écho chez les convives, piqua leur curiosité déjà si savamment excitée.

— Tous les matins, monté sur ce beau Sultan que vous m’aviez envoyé d’Angleterre, dit-il à lord Dudley, je passais le long de sa calèche dont les chevaux allaient exprès au pas, et je voyais le mot d’ordre écrit en fleurs dans son bouquet pour le cas où nous ne pourrions rapidement échanger une phrase. Quoique nous nous vissions à peu près tous les soirs dans le monde et qu’elle m’écrivît tous les jours, nous avions adopté, pour tromper les regards et déjouer les observations, une manière d’être. Ne pas se regarder, s’éviter, dire du mal l’un de l’autre ; s’admirer et se vanter ou se poser en amoureux dédaigné, tous ces vieux manéges ne valent pas, de part et d’autre, une fausse passion avouée pour une personne indifférente, et un air d’indifférence pour la véritable idole. Si deux amants veulent jouer ce jeu, le monde en sera toujours la dupe ; mais ils doivent être alors bien sûrs l’un de l’autre. Son plastron, à elle, était un homme en faveur, un homme de cour, froid et dévot qu’elle ne recevait point chez elle. Cette comédie se donnait au profit des sots et des salons qui en riaient. Il n’était point question de ma-