Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/466

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— Sommes-nous donc si réellement diminuées que ces messieurs le pensent ? dit la princesse de Cadignan en adressant aux femmes un sourire à la fois douteur et moqueur. Parce qu’aujourd’hui, sous un régime qui rapetisse toutes choses vous aimez les petits plats, les petits appartements, les petits tableaux, les petits articles, les petits journaux, les petits livres, est-ce à dire que les femmes seront aussi moins grandes ? Pourquoi le cœur humain changerait-il parce que vous changez d’habit ? À toutes les époques les passions seront les mêmes. Je sais d’admirables dévouements, de sublimes souffrances auxquelles manque la publicité, la gloire si vous voulez, qui jadis illustrait les fautes de quelques femmes. Mais pour n’avoir pas sauvé un roi de France, on n’en est pas moins Agnès Sorel. Croyez-vous que notre chère marquise d’Espard ne vaille pas madame Doublet ou madame du Deffant, chez qui l’on disait tant de mal ? Taglioni ne vaut-elle pas Camargo ? Malibran n’est-elle pas égale à la Saint-Huberti ! Nos poètes ne sont-ils pas supérieurs à ceux du dix-huitième siècle ? Si, dans ce moment, par la faute des épiciers qui gouvernent, nous n’avons pas de genre à nous, l’Empire n’a-t-il pas eu un cachet de même que le siècle de Louis XV, et sa splendeur ne fut-elle pas fabuleuse ? Les sciences ont-elles perdu ? Pour moi, je trouve la fuite de la duchesse de Langeais, dit la princesse en regardant le général de Montriveau, tout aussi grande que la retraite de mademoiselle de La Vallière.

— Moins le roi, répondit le général ; mais je suis de votre avis, madame, les femmes de cette époque sont vraiment grandes. Quand la postérité sera venue pour nous, est-ce que madame Récamier n’aura pas des proportions plus belles que celles des femmes les plus célèbres des temps passés ? Nous avons fait tant d’histoire que les historiens manqueront ! Le siècle de Louis XIV n’a eu qu’une madame de Sévigné, nous en avons mille aujourd’hui dans Paris qui certes écrivent mieux qu’elle et qui ne publient pas leurs lettres. Que la femme française s’appelle femme comme il faut ou grande dame, elle sera toujours la femme par excellence. Émile Blondet nous a fait une peinture des agréments d’une femme d’aujourd’hui ; mais au besoin cette femme qui minaude, qui parade, qui gazouille les idées de messieurs tels et tels, serait héroïque ! Et, disons-le, vos fautes, mesdames, sont d’autant plus poétiques qu’elles seront toujours et en tout temps environnées des plus grands périls. J’ai beaucoup vu le monde, je l’ai peut-être observé trop tard ; mais,