Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/65

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été secrète comme entre deux amants, et secrète elle doit rester entre nous. Lorsque tu te marieras, tu approuveras ma discrétion. Sache cependant que rien n’a manqué de ce que veut l’amour le plus délicat, ni de cet imprévu qui est, en quelque sorte, l’honneur de ce moment-là : les grâces mystérieuses que nos imaginations lui demandent, l’entraînement qui excuse, le consentement arraché, les voluptés idéales long-temps entrevues et qui nous subjuguent l’âme avant que nous nous laissions aller à la réalité, toutes les séductions y étaient avec leurs formes enchanteresses.

Je t’avoue que, malgré ces belles choses, j’ai de nouveau stipulé mon libre arbitre, et je ne veux pas t’en dire toutes les raisons. Tu seras certes la seule âme en qui je verserai cette demi-confidence. Même en appartenant à son mari, adoré ou non, je crois que nous perdrions beaucoup à ne pas cacher nos sentiments et le jugement que nous portons sur le mariage. La seule joie que j’aie eue, et qui a été céleste, vient de la certitude d’avoir rendu la vie à ce pauvre être avant de la donner à des enfants. Louis a repris sa jeunesse, sa force, sa gaieté. Ce n’est plus le même homme. J’ai, comme une fée, effacé jusqu’au souvenir des malheurs. J’ai métamorphosé Louis, il est devenu charmant. Sûr de me plaire, il déploie son esprit et révèle des qualités nouvelles. Être le principe constant du bonheur d’un homme quand cet homme le sait et mêle de la reconnaissance à l’amour, ah ! chère, cette certitude développe dans l’âme une force qui dépasse celle de l’amour le plus entier. Cette force impétueuse et durable, une et variée, enfante enfin la famille, cette belle œuvre des femmes, et que je conçois maintenant dans toute sa beauté féconde. Le vieux père n’est plus avare, il donne aveuglément tout ce que je désire. Les domestiques sont joyeux ; il semble que la félicité de Louis ait rayonné dans cet intérieur, où je règne par l’amour. Le vieillard s’est mis en harmonie avec toutes les améliorations, il n’a pas voulu faire tache dans mon luxe ; il a pris, pour me plaire, le costume, et avec le costume les manières du temps présent. Nous avons des chevaux anglais, un coupé, une calèche et un tilbury. Nos domestiques ont une tenue simple, mais élégante. Aussi passons-nous pour des prodigues. J’emploie mon intelligence (je ne ris pas) à tenir ma maison avec économie, à y donner le plus de jouissances pour la moindre somme possible. J’ai déjà démontré à Louis la nécessité de faire des chemins, afin de conquérir la réputation d’un homme