Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/78

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cheval me semble aussi ridicule que d’avoir un gros diamant à sa chemise. J’ai été ravie de le prendre en faute, et peut-être y avait-il dans son fait un peu d’amour-propre, permis à un pauvre proscrit. Cet enfantillage me plaît. Ô ma vieille raisonneuse ! jouis-tu de mes amours autant que je me suis attristée de ta sombre philosophie ? Chère Philippe II en jupon, te promènes-tu bien dans ma calèche ? Vois-tu ce regard de velours, humble et plein, fier de son servage, que me lance en passant cet homme vraiment grand qui porte ma livrée, et qui a toujours à sa boutonnière un camélia rouge, tandis que j’en ai toujours un blanc à la main ? Quelle clarté jette l’amour ! Combien je comprends Paris ! Maintenant tout m’y semble spirituel. Oui, l’amour y est plus joli, plus grand, plus charmant que partout ailleurs. Décidément j’ai reconnu que jamais je ne pourrais tourmenter, inquiéter un sot, ni avoir le moindre empire sur lui. Il n’y a que les hommes supérieurs qui nous comprennent bien et sur lesquels nous puissions agir. Oh ! pauvre amie, pardon, j’oubliais notre l’Estorade ; mais ne m’as-tu pas dit que tu allais en faire un génie, ? Oh ! je devine pourquoi : tu l’élèves à la brochette pour être comprise un jour. Adieu, je suis un peu folle et ne veux pas continuer.




XVIII

DE MADAME DE L’ESTORADE À LOUISE DE CHAULIEU.


Avril.

Chère ange, ou ne dois-je pas plutôt dire cher démon, tu m’as affligée sans le vouloir, et, si nous n’étions pas la même âme, je dirais blessée, mais ne se blesse-t-on pas aussi soi-même ? Comme on voit bien que tu n’as pas encore arrêté ta pensée sur ce mot indissoluble, appliqué au contrat qui lie une femme à un homme ! Je ne veux pas contredire les philosophes ni les législateurs, ils sont bien de force à se contredire eux-mêmes ; mais, chère, en rendant le mariage irrévocable et lui imposant une formule égale pour tous