Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/8

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« Mon enfant, m’a-t-elle dit de sa voix gutturale, tu me quittes sans regret, je le vois ; mais cet adieu n’est pas le dernier, nous nous reverrons : Dieu t’a marquée au front du signe des élus, tu as l’orgueil qui mène également au ciel et à l’enfer, mais tu as trop de noblesse pour descendre ! Je te connais mieux que tu ne te connais toi-même : la passion ne sera pas chez toi ce qu’elle est chez les femmes ordinaires. » Elle m’a doucement attirée sur elle et baisée au front en m’y mettant ce feu qui la dévore, qui a noirci l’azur de ses yeux, attendri ses paupières, ridé ses tempes dorées et jauni son beau visage. Elle m’a donné la peau de poule. Avant de répondre, je lui ai baisé les mains. — « Chère tante, ai-je dit, si vos adorables bontés ne m’ont pas fait trouver votre Paraclet salubre au corps et doux au cœur, je dois verser tant de larmes pour y revenir, que vous ne sauriez souhaiter mon retour. Je ne veux retourner ici que trahie par mon Louis XIV, et si j’en attrape un, il n’y a que la mort pour me l’arracher ! Je ne craindrai point les Montespan. — Allez, folle, dit-elle en souriant, ne laissez point ces idées vaines ici, emportez-les ; et sachez que vous êtes plus Montespan que La Vallière. » Je l’ai embrassée. La pauvre femme n’a pu s’empêcher de me conduire à la voiture, où ses yeux se sont tour à tour fixés sur les armoiries paternelles et sur moi.

La nuit m’a surprise à Beaugency, plongée dans un engourdissement moral qu’avait provoqué ce singulier adieu. Que dois-je donc trouver dans ce monde si fort désiré ? D’abord, je n’ai trouvé personne pour me recevoir, les apprêts de mon cœur ont été perdus : ma mère était au bois de Boulogne, mon père était au conseil ; mon frère, le duc de Rhétoré, ne rentre jamais, m’a-t-on dit, que pour s’habiller, avant le dîner. Mademoiselle Griffith (elle a des griffes) et Philippe m’ont conduite à mon appartement.

Cet appartement est celui de cette grand’mère tant aimée, la princesse de Vaurémont à qui je dois une fortune quelconque, de laquelle personne ne m’a rien dit. À ce passage, tu partageras la tristesse qui m’a saisie en entrant dans ce lieu consacré par mes souvenirs. L’appartement était comme elle l’avait laissé ! J’allais coucher dans le lit où elle est morte. Assise sur le bord de sa chaise longue, je pleurai sans voir que je n’étais pas seule, je pensai que je m’y étais souvent mise à ses genoux pour mieux l’écouter. De là j’avais vu son visage perdu dans ses dentelles rousses, et maigri par l’âge autant que par les douleurs de l’agonie. Cette chambre me