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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/81

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ces deux êtres, le père et le fils, à qui je suis dévouée, à la fois esclave et maîtresse. Mais, chère ! tes dernières lettres m’ont fait apercevoir tout ce que j’ai perdu ! Tu m’as appris l’étendue des sacrifices de la femme mariée. J’avais à peine jeté les yeux sur ces beaux steppes sauvages où tu bondis, et je ne te parlerai point de quelques larmes essuyées en te lisant ; mais le regret n’est pas le remords, quoiqu’il en soit un peu germain. Tu m’as dit : Le mariage rend philosophe ! hélas ! non ; je l’ai bien senti quand je pleurais en te sachant emportée au torrent de l’amour. Mais mon père m’a fait lire un des plus profonds écrivains de nos contrées, un des héritiers de Bossuet, un de ces cruels politiques dont les pages engendrent la conviction. Pendant que tu lisais Corinne, je lisais Bonald, et voilà tout le secret de ma philosophie : la Famille sainte et forte m’est apparue. De par Bonald, ton père avait raison dans son discours. Adieu, ma chère imagination, mon amie, toi qui es ma folie !




XIX

LOUISE DE CHAULIEU À MADAME DE L’ESTORADE.


Eh ! bien, tu es un amour de femme, ma Renée ; et je suis maintenant d’accord que c’est être honnête que de tromper : es-tu contente ? D’ailleurs l’homme qui nous aime nous appartient ; nous avons le droit d’en faire un sot ou un homme de génie ; mais, entre nous, nous en faisons le plus souvent des sots. Tu feras du tien un homme de génie, et tu garderas ton secret : deux magnifiques actions ! Ah ! s’il n’y avait pas de paradis, tu serais bien attrapée, car tu te voues à un martyre volontaire. Tu veux le rendre ambitieux et le garder amoureux ! mais, enfant que tu es, c’est bien assez de le maintenir amoureux. Jusqu’à quel point le calcul est-il la vertu ou la vertu est-elle le calcul ? Hein ? Nous ne nous fâcherons point pour cette question, puisque Bonald est là. Nous sommes et voulons être vertueuses ; mais en ce moment je crois que, malgré tes charmantes friponneries, tu vaux mieux que moi. Oui, je suis une fille horriblement fausse : j’aime Felipe, et je le lui cache avec une infâme dissimulation. Je le voudrais voir sautant de son arbre sur la crête