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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/116

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taient sur sa physionomie vigoureuse et ferme où perçaient une bonhomie, une candeur indicibles. Ce vieux capitaine était redevenu petit sans beaucoup d’efforts. N’y a-t-il pas toujours un peu d’amour pour l’enfance chez les soldats qui ont assez expérimenté les malheurs de la vie pour avoir su reconnaître les misères de la force et les priviléges de la faiblesse ? Plus loin, devant une table ronde éclairée par des lampes astrales dont les vives lumières luttaient avec les lueurs pâles des bougies placées sur la cheminée, était un jeune garçon de treize ans qui tournait rapidement les pages d’un gros livre. Les cris de son frère ou de sa sœur ne lui causaient aucune distraction, et sa figure accusait la curiosité de la jeunesse. Cette profonde préoccupation était justifiée par les attachantes merveilles des Mille et une Nuit et par un uniforme de lycéen. Il restait immobile, dans une attitude méditative, un coude sur la table et la tête appuyée sur l’une de ses mains, dont les doigts blancs tranchaient au milieu d’une chevelure brune. La clarté tombant d’aplomb sur son visage, et le reste du corps étant dans l’obscurité, il ressemblait ainsi à ces portraits noirs où Raphaël s’est représenté lui-même attentif, penché, songeant à l’avenir. Entre cette table et la marquise, une grande et belle jeune fille travaillait, assise devant un métier à tapisserie sur lequel se penchait et d’où s’éloignait alternativement sa tête, dont les cheveux d’ébène artistement lissés réfléchissaient la lumière. À elle seule Hélène était un spectacle. Sa beauté se distinguait par un rare caractère de force et d’élégance. Quoique relevée de manière à dessiner des traits vifs autour de la tête, la chevelure était si abondante que, rebelle aux dents du peigne, elle se frisait énergiquement à la naissance du cou. Ses sourcils, très-fournis et régulièrement plantés, tranchaient avec la blancheur de son front pur. Elle avait même sur la lèvre supérieure quelques signes de courage qui figuraient une légère teinte de bistre sous un nez grec dont les contours étaient d’une exquise perfection. Mais la captivante rondeur des formes, la candide expression des autres traits, la transparence d’une carnation délicate, la voluptueuse mollesse des lèvres, le fini de l’ovale décrit par le visage, et surtout la sainteté de son regard vierge, imprimaient à cette beauté vigoureuse la suavité féminine, la modestie enchanteresse que nous demandons à ces anges de paix et d’amour. Seulement il n’y avait rien de frêle dans cette jeune fille, et son cœur devait être aussi doux, son âme aussi forte que ses pro-