Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/139

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— Je l’ai déjà vu hier, répondit le capitaine Gomez. Il contempla le Français comme pour l’interroger. — Il nous a toujours donné la chasse, dit-il alors à l’oreille du général.

— Et je ne sais pas pourquoi il ne nous a jamais rejoints, reprit le vieux militaire, car il est meilleur voilier que votre damné Saint-Ferdinand.

— Il aura eu des avaries, une voie d’eau.

— Il nous gagne, s’écria le Français.

— C’est un corsaire colombien, lui dit à l’oreille le capitaine. Nous sommes encore à six lieues de terre, et le vent faiblit.

— Il ne marche pas, il vole, comme s’il savait que dans deux heures sa proie lui aura échappé. Quelle hardiesse !

— Lui ! s’écria le capitaine. Ah ! il ne s’appelle pas l’Othello sans raison. Il a dernièrement coulé bas une frégate espagnole, et n’a cependant pas plus de trente canons ! Je n’avais peur que de lui, car je n’ignorais pas qu’il croisait dans les Antilles… — Ah ! ah ! reprit-il après une pause pendant laquelle il regarda les voiles de son vaisseau, le vent s’élève, nous arriverons. Il le faut, le Parisien serait impitoyable.

— Lui aussi arrive ! répondit le marquis.

L’Othello n’était plus guère qu’à trois lieues. Quoique l’équipage n’eût pas entendu la conversation du marquis et du capitaine Gomez, l’apparition de cette voile avait amené la plupart des matelots et des passagers vers l’endroit où étaient les deux interlocuteurs ; mais presque tous, prenant le brick pour un bâtiment de commerce, le voyaient venir avec intérêt, quand tout à coup un matelot s’écria, dans un langage énergique : — Par saint Jacques ! nous sommes flambés, voici le capitaine parisien.

À ce nom terrible, l’épouvante se répandit dans le brick, et ce fut une confusion que rien ne saurait exprimer. Le capitaine espagnol imprima par sa parole une énergie momentanée à ses matelots ; et, dans ce danger, voulant gagner la terre à quelque prix que ce fût, il essaya de faire mettre promptement toutes ses bonnettes hautes et basses, tribord et bâbord, pour présenter au vent l’entière surface de toile qui garnissait ses vergues. Mais ce ne fut pas sans de grandes difficultés que les manœuvres s’accomplirent ; elles manquèrent naturellement de cet ensemble admirable qui séduit tant dans un vaisseau de guerre. Quoique l’Othello volât comme une hirondelle, grâce à l’orientement de ses voiles, il gagnait