Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/147

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— Comment cela est-il possible ? s’écria Hélène en saisissant son père comme pour s’assurer de la réalité de cette vision.

— Hélène !

— Mon père !

Ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre, et l’étreinte du vieillard ne fut ni la plus forte ni la plus affectueuse.

— Vous étiez sur ce vaisseau ?

— Oui, répondit-il d’un air triste en s’asseyant sur le divan et regardant les enfants, qui, groupés autour de lui, le considéraient avec une attention naïve. J’allais périr sans…

— Sans mon mari, dit-elle en l’interrompant, je devine.

— Ah ! s’écria le général, pourquoi faut-il que je te retrouve ainsi, mon Hélène, toi que j’ai tant pleurée ! Je devrai donc gémir encore sur ta destinée.

— Pourquoi ? demanda-t-elle en souriant. Ne serez-vous donc pas content d’apprendre que je suis la femme la plus heureuse de toutes ?

— Heureuse ! s’écria-t-il en faisant un bond de surprise.

— Oui, mon bon père, reprit-elle en s’emparant de ses mains, les embrassant, les serrant sur son sein palpitant, et ajoutant à cette cajolerie un air de tête que ses yeux pétillants de plaisir rendirent encore plus significatif.

— Et comment cela ? demanda-t-il, curieux de connaître la vie de sa fille, et oubliant tout devant cette physionomie resplendissante.

— Écoutez, mon père, répondit-elle, j’ai pour amant, pour époux, pour serviteur, pour maître, un homme dont l’âme est aussi vaste que cette mer sans bornes, aussi fertile en douceur que le ciel, un dieu, enfin ! Depuis sept ans, jamais il ne lui est échappé une parole, un sentiment, un geste qui pussent produire une dissonance avec la divine harmonie de ses discours, de ses caresses et de son amour. Il m’a toujours regardée en ayant sur les lèvres un sourire ami et dans les yeux un rayon de joie. Là-haut sa voix tonnante domine souvent les hurlements de la tempête ou le tumulte des combats ; mais ici elle est douce et mélodieuse comme la musique de Rossini, dont les œuvres m’arrivent. Tout ce que le caprice d’une femme peut inventer, je l’obtiens. Mes désirs sont même parfois surpassés. Enfin je règne sur la mer, et j’y suis obéie comme peut l’être une souveraine. — Oh ! heureuse ! reprit-elle en s’in-