Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/157

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— Par grâce, ma fille, reprit-elle, ne renouvelons pas en ce moment les tristes combats…

— Je me tairai, répondit Hélène en faisant un effort surnaturel. Je suis mère, je sais que Moïna ne doit pas… Où est mon enfant ?

Moïna rentra, poussée par la curiosité.

— Ma sœur, dit cette enfant gâtée, le médecin…

— Tout est inutile, reprit Hélène. Ah ! pourquoi ne suis-je pas morte à seize ans, quand je voulais me tuer ! Le bonheur ne se trouve jamais en dehors des lois… Moïna… tu…

Elle mourut en penchant sa tête sur celle de son enfant, qu’elle avait serré convulsivement.

— Ta sœur voulait sans doute te dire, Moïna, reprit madame d’Aiglemont, lorsqu’elle fut rentrée dans sa chambre, où elle fondit en larmes, que le bonheur ne se trouve jamais, pour une fille, dans une vie romanesque, en dehors des idées reçues, et, surtout, loin de sa mère.

VI.


LA VIEILLESSE D’UNE MÈRE COUPABLE.


Pendant l’un des premiers jours du mois de juin 1842, une dame d’environ cinquante ans, mais qui paraissait encore plus vieille que ne le comportait son âge véritable, se promenait au soleil, à l’heure de midi, le long d’une allée, dans le jardin d’un grand hôtel situé rue Plumet, à Paris. Après avoir fait deux ou trois fois le tour du sentier légèrement sinueux où elle restait pour ne pas perdre de vue les fenêtres d’un appartement qui semblait attirer toute son attention, elle vint s’asseoir sur un de ces fauteuils à demi champêtres qui se fabriquent avec de jeunes branches d’arbres garnies de leur écorce. De la place où se trouvait ce siége élégant, la dame pouvait embrasser par une des grilles d’enceinte et les boulevards intérieurs, au milieu desquels est posé l’admirable dôme des Invalides, qui élève sa coupole d’or parmi les têtes d’un millier d’ormes, admirable paysage, et l’aspect moins grandiose de son jardin terminé par la façade grise d’un des plus beaux hôtels du faubourg Saint-Germain. Là tout était silencieux, les jardins voisins, les boulevards, les Invalides ; car, dans ce noble quartier, le jour ne commence guère qu’à midi. À moins de quelque caprice, à moins qu’une