Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/167

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presque orageuses et des couleurs animées. Elle était assise sur un divan, et paraissait réfléchir.

— Pourquoi vient-on ? dit-elle d’une voix dure. Ah ! c’est vous, ma mère, reprit-elle d’un air distrait après s’être interrompue elle-même.

— Oui, mon enfant, c’est ta mère…

L’accent avec lequel madame d’Aiglemont prononça ces paroles peignit une effusion de cœur et une émotion intime, dont il serait difficile de donner une idée sans employer le mot de sainteté. Elle avait en effet si bien revêtu le caractère sacré d’une mère, que sa fille en fut frappée, et se tourna vers elle par un mouvement qui exprimait à la fois le respect, l’inquiétude et le remords. La marquise ferma la porte de ce salon, où personne ne pouvait entrer sans faire du bruit dans les pièces précédentes. Cet éloignement garantissait de toute indiscrétion.

— Ma fille, dit la marquise, il est de mon devoir de t’éclairer sur une des crises les plus importantes dans notre vie de femme, et dans laquelle tu te trouves à ton insu peut-être, mais dont je viens te parler moins en mère qu’en amie. En te mariant, tu es devenue libre de tes actions, tu n’en dois compte qu’à ton mari ; mais je t’ai si peu fait sentir l’autorité maternelle (et ce fut un tort peut-être), que je me crois en droit de me faire écouter de toi, une fois au moins, dans la situation grave où tu dois avoir besoin de conseils. Songe, Moïna, que je t’ai mariée à un homme d’une haute capacité, de qui tu peux être fière, que…

— Ma mère, s’écria Moïna d’un air mutin et en l’interrompant, je sais ce que vous venez me dire… Vous allez me prêcher au sujet d’Alfred…

— Vous ne devineriez pas si bien, Moïna, reprit gravement la marquise en essayant de retenir ses larmes, si vous ne sentiez pas…

— Quoi ? dit-elle d’un air presque hautain. Mais, ma mère, en vérité…

— Moïna, s’écria madame d’Aiglemont en faisant un effort extraordinaire, il faut que vous entendiez attentivement ce que je dois vous dire…

— J’écoute, dit la comtesse en se croisant les bras et affectant une impertinente soumission. Permettez-moi, ma mère, dit-elle avec un sang-froid incroyable, de sonner Pauline pour la renvoyer…