Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/185

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laquelle vivait Natalie. Il venait de disposer pour lui-même son hôtel comme personne à Bordeaux n’aurait disposé de maison pour loger Natalie. Un homme habitué aux dépenses de Paris et aux fantaisies des Parisiennes pouvait seul éviter les malheurs pécuniaires qu’entraînait un mariage avec cette créature déjà aussi créole, aussi grande dame que l’était sa mère. Là où des Bordelais amoureux de mademoiselle Évangélista se seraient ruinés, le comte de Manerville saurait, disait-on, éviter tout désastre. C’était donc un mariage fait. Les personnes de la haute société royaliste, quand la question de ce mariage se traitait devant elles, disaient à Paul des phrases engageantes qui flattaient sa vanité.

— Chacun vous donne ici mademoiselle Évangélista. Si vous l’épousez, vous ferez bien ; vous ne trouveriez jamais nulle part, même à Paris, une si belle personne : elle est élégante, gracieuse, et tient aux Casa-Réal par sa mère. Vous ferez le plus charmant couple du monde : vous avez les mêmes goûts, la même entente de la vie, vous aurez la plus agréable maison de Bordeaux. Votre femme n’a que son bonnet de nuit à apporter chez vous. Dans une semblable affaire, une maison montée vaut une dot. Vous êtes bien heureux aussi de rencontrer une belle-mère comme madame Évangélista. Femme d’esprit, insinuante, cette femme-là vous sera d’un grand secours au milieu de la vie politique à laquelle vous devez aspirer. Elle a d’ailleurs sacrifié tout à sa fille, qu’elle adore, et Natalie sera sans doute une bonne femme, car elle aime bien sa mère. Puis il faut faire une fin.

— Tout cela est bel et bon : répondait Paul qui malgré son amour voulait garder son libre arbitre, mais il faut faire une fin heureuse.

Paul vint bientôt chez madame Évangélista, conduit par son besoin d’employer les heures vides, plus difficiles à passer pour lui que pour tout autre. Là seulement respirait cette grandeur, ce luxe dont il avait l’habitude. À quarante ans, madame Évangélista était belle d’une beauté semblable à celle de ces magnifiques couchers de soleil qui couronnent en été les journées sans nuages. Sa réputation inattaquée offrait aux coteries bordelaises un éternel aliment de causerie, et la curiosité des femmes était d’autant plus vive que la veuve offrait les indices de la constitution qui rend les Espagnoles et les créoles particulièrement célèbres. Elle avait les cheveux et les yeux noirs, le pied et la taille de l’Espagnole, cette taille