Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/208

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Bordeaux pendant les premiers jours de votre mariage ? Si vous vous sentez le courage d’affronter le monde qui vous connaît, vous épie, vous gêne, soit ! Mais si vous éprouvez tous deux cette pudeur de sentiment qui enserre l’âme et ne s’exprime pas, nous irons à Paris où la vie d’un jeune ménage se perd dans le torrent. Là seulement vous pourrez être comme deux amants, sans avoir à craindre le ridicule.

— Vous avez raison, ma mère, je n’y pensais point. Mais à peine aurais-je le temps de préparer ma maison. J’écrirai ce soir à de Marsay, celui de mes amis sur lequel je puis compter pour faire marcher les ouvriers.

Au moment où, semblable aux jeunes gens habitués à satisfaire leurs plaisirs sans calcul préalable, Paul s’engageait inconsidérément dans les dépenses d’un séjour à Paris, maître Mathias entra dans le salon et fit signe à son client de venir lui parler.

— Qu’y a-t-il, mon ami ? dit Paul en se laissant mener dans une embrasure de fenêtre.

— Monsieur le comte, dit le bonhomme, il n’y a pas un sou de dot. Mon avis est de remettre la conférence à un autre jour, afin que vous puissiez prendre un parti convenable.

— Monsieur Paul, dit Natalie, je veux vous dire aussi mon mot à part.

Quoique la contenance de madame Évangélista fût calme, jamais juif du moyen âge ne souffrit dans sa chaudière pleine d’huile bouillante, le martyre qu’elle souffrait dans sa robe de velours violet. Solonet lui avait garanti le mariage, mais elle ignorait les moyens, les conditions du succès, et subissait l’horrible angoisse des alternatives. Elle dut peut-être son triomphe à la désobéissance de sa fille. Natalie avait commenté les paroles de sa mère dont l’inquiétude était visible pour elle. Quand elle vit le succès de sa coquetterie, elle se sentit atteinte au cœur par mille pensées contradictoires. Sans blâmer sa mère, elle fut honteuse à demi de ce manége dont le prix était un gain quelconque. Puis, elle fut prise d’une curiosité jalouse assez concevable. Elle voulut savoir si Paul l’aimait assez pour surmonter les difficultés prévues par sa mère, et que lui dénonçait la figure un peu nuageuse de maître Mathias. Ces sentiments la poussèrent à un mouvement de loyauté qui d’ailleurs la posait bien. La plus noire perfidie n’eût pas été aussi dangereuse que le fut son innocence.