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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/258

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et se contenta de le regarder endormi, comme une mère regarde son enfant. Josette, la gouvernante, accompagnait son maître, et demeura debout devant le lit, les poings sur les hanches.

— Il y a aujourd’hui un an, Josette, quand je recevais ici le dernier soupir de ma chère femme, je ne savais pas que j’y reviendrais pour y voir monsieur le comte quasi mort.

— Pauvre monsieur ! il geint en dormant, dit Josette.

L’ancien notaire ne répondit que par un : — Sac à papier ! innocent juron qui annonçait toujours en lui la désespérance de l’homme d’affaires rencontrant d’infranchissables difficultés. — Enfin, se dit-il, je lui ai sauvé la nue propriété de Lanstrac, de d’Auzac, de Saint-Froult et de son hôtel ! Mathias compta sur ses doigts, et s’écria : — Cinq ans ! Voici cinq ans, dans ce mois-ci précisément, sa vieille tante, aujourd’hui défunte, la respectable madame de Maulincour, demandait pour lui la main de ce petit crocodile habillé en femme qui définitivement l’a ruiné, comme je le pensais.

Après avoir long-temps contemplé le jeune homme, le bon vieux goutteux, appuyé sur sa canne, s’alla promener à pas lents dans son petit jardin. À neuf heures le souper était servi, car Mathias soupait. Le vieillard ne fut pas médiocrement étonné de voir à Paul un front calme, une figure sereine quoique sensiblement altérée. Si à trente-trois ans le comte de Manerville paraissait en avoir quarante, ce changement de physionomie était dû seulement à des secousses morales ; physiquement il se portait bien. Il alla prendre les mains du bonhomme pour le forcer à rester assis, et les lui serra fort affectueusement en lui disant : — Bon cher maître Mathias ! vous avez eu vos douleurs, vous !

— Les miennes étaient dans la nature, monsieur le comte ; mais les vôtres…

— Nous parlerons de moi tout à l’heure en soupant.

— Si je n’avais pas un fils dans la magistrature et une fille mariée, dit le bonhomme, croyez, monsieur le comte, que vous auriez trouvé chez le vieux Mathias autre chose que l’hospitalité. Comment venez-vous à Bordeaux au moment où sur tous les murs les passants lisent les affiches de la saisie immobilière des fermes du Grassol, du Guadet, du clos de Belle-Rose et de votre hôtel ! Il m’est impossible de dire le chagrin que j’éprouve en voyant ces grands placards, moi qui, pendant quarante ans, ai soigné ces im-