Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/324

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de même des mots que le chagrin de voir prendre un panier plein dictait à ceux qui l’avaient engraissé sans en rien prendre. Les cartes se donnaient avec une lenteur automatique. On causait en poitrinant. Ces dignes et nobles personnes avaient l’adorable petitesse de se défier les unes des autres au jeu. Mademoiselle de Pen-Hoël accusait presque toujours le curé de tricherie quand il prenait un panier. — Il est singulier, disait alors le curé, que je ne triche jamais quand je suis à la mouche. Personne ne lâchait sa carte sur le tapis sans des calculs profonds, sans des regards fins et des mots plus ou moins astucieux, sans des remarques ingénieuses et fines. Les coups étaient, pensez-le bien, entrecoupés de narrations sur les événements arrivés en ville, ou par les discussions sur les affaires politiques. Souvent les joueurs restaient un grand quart d’heure, les cartes appuyées en éventail sur leur estomac, occupés à causer. Si, par suite de ces interruptions, il se trouvait un jeton de moins au panier, tout le monde prétendait avoir mis son jeton. Presque toujours le chevalier complétait l’enjeu, accusé par tous de penser à ses cloches aux oreilles, à sa tête, à ses farfadets, et d’oublier sa mise. Quand le chevalier avait remis un jeton, la vieille Zéphirine ou la malicieuse bossue étaient prises de remords : elles imaginaient alors que peut-être elles n’avaient pas mis, elles croyaient, elles doutaient ; mais enfin le chevalier était bien assez riche pour supporter ce petit malheur. Souvent le baron ne savait plus où il en était quand on parlait des infortunes de la maison royale. Quelquefois il arrivait un résultat toujours surprenant pour ces personnes, qui toutes comptaient sur le même gain. Après un certain nombre de parties, chacun avait regagné ses jetons et s’en allait, l’heure étant trop avancée, sans perte ni gain, mais non sans émotion. Dans ces cruelles soirées, il s’élevait des plaintes sur la mouche : la mouche n’avait pas été piquante ; les joueurs accusaient la mouche comme les nègres battent la lune dans l’eau quand le temps est contraire. La soirée passait pour avoir été pâle. On avait bien travaillé pour pas grand’chose. Quand, à sa première visite, le vicomte et la vicomtesse de Kergarouët parlèrent de whist et de boston comme de jeux plus intéressants que la mouche, et furent encouragés à les montrer par la baronne que la mouche ennuyait excessivement, la société de l’hôtel du Guénic s’y prêta, non sans se récrier sur ces innovations ; mais il fut impossible de faire comprendre ces jeux, qui, les Kergarouët partis, furent traités de casse-têtes, de travaux