Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/326

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avait laissé échapper une réflexion de ce genre, les joueurs et les gens en visite se regardaient avec émotion, inquiets de la tristesse du roi de Guérande. Les personnages venus pour le voir se disaient en s’en allant : — Monsieur du Guénic était triste. Avez-vous vu comme il dort ? Et le lendemain tout Guérande causait de cet événement. — Le baron du Guénic baisse ! Cette phrase ouvrait les conversations dans tous les ménages.

— Thisbé va bien ? demanda mademoiselle de Pen-Hoël au chevalier dès que les cartes furent données.

— Cette pauvre petite est comme moi, répondit le chevalier, elle a des maux de nerfs, elle relève constamment une de ses pattes en courant. Tenez, comme ça !

Pour imiter sa chienne et crisper un de ses bras en le levant, le chevalier laissa voir son jeu à sa voisine la bossue, qui voulait savoir s’il avait de l’atout ou le Mistigris. C’était une première finesse à laquelle il succomba.

— Oh ! dit la baronne, le bout du nez de monsieur le curé blanchit, il a Mistigris.

Le plaisir d’avoir Mistigris était si vif chez le curé, comme chez les autres joueurs, que le pauvre prêtre ne savait pas le cacher. Il est dans toute figure humaine une place où les secrets mouvements du cœur se trahissent, et ces personnes habituées à s’observer avaient fini, après quelques années, par découvrir l’endroit faible chez le curé : quand il avait le Mistigris le bout de son nez blanchissait. On se gardait bien alors d’aller au jeu.

— Vous avez eu du monde aujourd’hui chez vous ? dit le chevalier à mademoiselle de Pen-Hoël.

— Oui, l’un des cousins de mon beau-frère. Il m’a surprise en m’annonçant le mariage de madame la comtesse de Kergarouët, une demoiselle de Fontaine…

— Une fille à Grand-Jacques, s’écria le chevalier qui pendant son séjour à Paris n’avait jamais quitté son amiral.

— La comtesse est son héritière, elle a épousé un ancien ambassadeur. Il m’a raconté les plus singulières choses sur notre voisine, mademoiselle des Touches, mais si singulières que je ne veux pas les croire. Calyste ne serait pas si assidu chez elle, il a bien assez de bon sens pour s’apercevoir de pareilles monstruosités.

— Monstruosités ?… dit le baron réveillé par ce mot.

La baronne et le curé se jetèrent un regard d’intelligence. Les