Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/330

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jouit sa famille ni déranger les plans que nous formons pour son avenir. Ainsi, ne pleurez pas, tout n’est pas perdu, madame : une faute n’est pas le vice.

— Vous ne m’apprenez que des détails, dit la baronne. N’ai-je pas été la première à m’apercevoir du changement de Calyste. Une mère sent bien vivement la douleur ne n’être plus qu’en second dans le cœur de son fils, ou le chagrin de ne pas y être seule. Cette phase de la vie de l’homme est un des maux de la maternité ; mais, tout en m’y attendant, je ne croyais pas que ce fût sitôt. Enfin j’aurais voulu qu’au moins il mît dans son cœur une noble et belle créature et non une histrionne, une baladine, une femme de théâtre, un auteur habitué à feindre des sentiments, une mauvaise femme qui le trompera et le rendra malheureux. Elle a eu des aventures…

— Avec plusieurs hommes, dit l’abbé Grimont. Cette impie est pourtant née en Bretagne ! Elle déshonore son pays. Je ferai dimanche un prône à son sujet.

— Gardez-vous-en bien, dit la baronne. Les paludiers, les paysans seraient capables de se porter aux Touches. Calyste est digne de son nom, il est Breton, il pourrait arriver quelque malheur s’il y était, car il la défendrait comme s’il s’agissait de la sainte Vierge.

— Voici dix heures, je vous souhaite une bonne nuit, dit l’abbé Grimont en allumant l’oribus de son falot dont les vitres étaient claires et le métal étincelant, ce qui révélait les soins minutieux de sa gouvernante pour toutes les choses aux logis. Qui m’eût dit, madame, reprit-il, qu’un jeune homme nourri par vous, élevé par moi dans les idées chrétiennes, un fervent catholique, un enfant qui vivait comme un agneau sans tache, irait se plonger dans un pareil bourbier ?

— Est-ce donc bien sûr ? dit la mère. Mais comment une femme n’aimerait-elle pas Calyste ?

— Il n’en faut pas d’autres preuves que le séjour de cette sorcière aux Touches. Voilà, depuis vingt-quatre ans qu’elle est majeure, le temps le plus long qu’elle y reste. Ses apparitions, heureusement pour nous, duraient peu.

— Une femme de quarante ans, dit la baronne. J’ai entendu dire en Irlande qu’une femme de ce genre est la maîtresse la plus dangereuse pour un jeune homme.

— En ceci je suis un ignorant, répondit le curé. Je mourrai même dans mon ignorance.