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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/356

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modernes : des livres à secret, des boîtes à mouchoirs et à gants, des abat-jour en lithophanies, des statuettes, des chinoiseries, des écritoires, un ou deux albums, des presse-papiers, enfin les innombrables colifichets à la mode. Les curieux y voient avec une surprise inquiète des pistolets, un narghilé, une cravache, un hamac, une pipe, un fusil de chasse, une blouse, du tabac, un sac de soldat, bizarre assemblage qui peint Félicité.

Toute grande âme, en venant là, sera saisie par les beautés spéciales du paysage qui déploie ses savanes après le parc, dernière végétation du continent. Ces tristes carrés d’eau saumâtre, divisés par les petits chemins blancs sur lesquels se promène le paludier, vêtu tout en blanc, pour ratisser, recueillir le sel et le mettre en mulons ; cet espace que les exhalaisons salines défendent aux oiseaux de traverser, en étouffant aussi tous les efforts de la botanique ; ces sables où l’œil n’est consolé que par une petite herbe dure, persistante, à fleurs rosées, et par l’œillet des Chartreux ; ce lac d’eau marine, le sable des dunes et la vue du Croisic, miniature de ville arrêtée comme Venise en pleine mer ; enfin, l’immense océan qui borde les rescifs en granit de ses franges écumeuses pour faire encore mieux ressortir leurs formes bizarres, ce spectacle élève la pensée tout en l’attristant, effet que produit à la longue le sublime, qui donne le regret de choses inconnues, entrevues par l’âme à des hauteurs désespérantes. Aussi ces sauvages harmonies ne conviennent-elles qu’aux grands esprits et aux grandes douleurs. Ce désert plein d’accidents, où parfois les rayons du soleil réfléchis par les eaux, par les sables, blanchissent le bourg de Batz, et ruissellent sur les toits du Croisic, en répandant un éclat impitoyable, occupait alors Camille des jours entiers. Elle se tournait rarement vers les délicieuses vues fraîches, vers les bosquets et les haies fleuries qui enveloppent Guérande, comme une mariée, de fleurs, de rubans, de voiles et de festons. Elle souffrait alors d’horribles douleurs inconnues.

Dès que Calyste vit poindre les girouettes des deux pignons au-dessus des ajoncs du grand chemin et les têtes tortues des pins, il trouva l’air plus léger. Guérande lui semblait une prison, sa vie était aux Touches. Qui ne comprendrait les attraits qui s’y trouvaient pour un jeune homme candide ? L’amour pareil à celui de Chérubin, qui l’avait fait tomber aux pieds d’une personne qui devint une grande chose pour lui avant d’être une femme, devait