Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/384

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c’est la Loire à son embouchure : il est immense, il est grossi de toutes les déceptions, de tous les affluents de la vie, et voilà pourquoi…… ma fille est muette, dit-il en voyant l’attitude extatique de mademoiselle des Touches qui serrait avec force la main de Calyste, peut-être pour le remercier d’avoir été l’occasion d’un pareil moment, d’un éloge si pompeux qu’elle ne put y voir aucun piége.

Pendant le reste de la soirée, Claude Vignon et Félicité furent étincelants d’esprit, racontèrent des anecdotes et peignirent le monde parisien à Calyste qui s’éprit de Claude, car l’esprit exerce ses séductions surtout sur les gens de cœur.

— Je ne serais pas étonné de voir débarquer demain la marquise de Rochegude et Conti, qui sans doute l’accompagne, dit Claude à la fin de la soirée. Quand j’ai quitté le Croisic, les marins avaient reconnu un petit bâtiment danois, suédois ou norwégien.

Cette phrase rosa les joues de l’impassible Camille. Ce soir, madame du Guénic attendit encore jusqu’à une heure du matin son fils, sans pouvoir comprendre ce qu’il faisait aux Touches, puisque Félicité ne l’aimait pas.

— Mais il les gêne, se disait cette adorable mère. — Qu’avez-vous donc tant dit ? lui demanda-t-elle en le voyant entrer.

— Oh ! ma mère, je n’ai jamais passé de soirée plus délicieuse. Le génie est une bien grande, bien sublime chose ! Pourquoi ne m’as-tu pas donné du génie ? Avec du génie on doit pouvoir choisir parmi les femmes celle qu’on aime, elle est forcément à vous.

— Mais tu es beau, mon Calyste.

— La beauté n’est bien placée que chez vous. D’ailleurs Claude Vignon est beau. Les hommes de génie ont des fronts lumineux, des yeux d’où jaillissent des éclairs ; et moi, malheureux, je ne sais rien qu’aimer.

— On dit que cela suffit, mon ange, dit-elle en le baisant au front.

— Bien vrai ?

— On me l’a dit, je ne l’ai jamais éprouvé.

Ce fut au tour de Calyste à baiser saintement la main de sa mère.

— Je t’aimerai pour tous ceux qui t’auraient adorée, lui dit-il.

— Cher enfant ! c’est un peu ton devoir, tu as hérité de tous mes sentiments. Ne sois donc pas imprudent : tâche de n’aimer que de nobles femmes, s’il faut que tu aimes.

Quel est le jeune homme plein d’amour débordant et de vie contenue qui n’aurait eu l’idée victorieuse d’aller au Croisic voir dé-