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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/422

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tractions ressemblaient au sommeil de son père. En le trouvant si différent de ce qu’il était quand il croyait aimer Camille, la baronne reconnaissait avec une sorte de terreur les symptômes qui signalent le véritable amour, sentiment tout à fait inconnu dans ce vieux manoir. Une irritabilité fébrile, une absorption constante rendaient Calyste hébété. Souvent il restait des heures entières à regarder une figure de la tapisserie. Elle lui avait conseillé le matin de ne plus aller aux Touches et de laisser ces deux femmes.

— Ne plus aller aux Touches ! s’était écrié Calyste.

— Vas-y, ne te fâche pas, mon bien-aimé, répondit-elle en l’embrassant sur ces yeux qui lui avaient lancé des flammes.

Dans ces circonstances, Calyste faillit perdre le fruit des savantes manœuvres de Camille par la furie bretonne de son amour, dont il ne fut plus le maître. Il se jura, malgré ses promesses à Félicité, de voir Béatrix et de lui parler. Il voulait lire dans ses yeux, y noyer son regard, examiner les légers détails de sa toilette, en aspirer les parfums, écouter la musique de sa voix, suivre l’élégante composition de ses mouvements, embrasser par un coup d’œil cette taille, enfin la contempler, comme un grand général étudie le champ où se livrera quelque bataille décisive ; il le voulait comme veulent les amants ; il était en proie à un désir qui lui fermait les oreilles, qui lui obscurcissait l’intelligence, qui le jetait dans un état maladif où il ne reconnaissait plus ni obstacles ni distances, où il ne sentait même plus son corps. Il imagina alors d’aller aux Touches avant l’heure convenue, espérant y rencontrer Béatrix dans le jardin. Il avait su qu’elle s’y promenait le matin en attendant le déjeuner. Mademoiselle des Touches et la marquise étaient allées voir pendant la matinée les marais salants et le bassin bordé de sable fin où la mer pénètre, et qui ressemble à un lac au milieu des dunes, elles étaient revenues au logis et devisaient en tournant dans les petites allées jaunes du boulingrin.

— Si ce paysage vous intéresse, lui dit Camille, il faut aller avec Calyste faire le tour du Croisic. Il y a là des roches admirables, des cascades de granit, de petites baies ornées de cuves naturelles, des choses surprenantes de caprices, et puis la mer avec ses milliers de fragments de marbre, un monde d’amusements. Vous verrez des femmes faisant du bois, c’est-à-dire collant des bouses de vache le long des murs pour les dessécher et les entasser comme les mottes à Paris ; puis, l’hiver, on se chauffe de ce bois-là.