Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/426

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défiait de Camille ; l’air qu’avait eu la marquise pendant leur entrevue du jardin l’avait singulièrement encouragé. Jamais première lettre d’amour n’a été, comme on pourrait le croire, un jet brûlant de l’âme. Chez tous les jeunes gens que n’a pas atteints la corruption, une pareille lettre est accompagnée de bouillonnements trop abondants, trop multipliés, pour ne pas être l’élixir de plusieurs lettres essayées, rejetées, recomposées. Voici celle à laquelle s’arrêta Calyste, et qu’il lut à sa pauvre mère étonnée. Pour elle, cette vieille maison était comme en feu, l’amour de son fils y flambait comme la lumière d’un incendie.

CALYSTE À BÉATRIX.


« Madame, je vous aimais quand vous n’étiez pour moi qu’un rêve, jugez quelle force a prise mon amour en vous apercevant. Le rêve a été surpassé par la réalité. Mon chagrin est de n’avoir rien à vous dire que vous ne sachiez en vous disant combien vous êtes belle ; mais, peut-être vos beautés n’ont-elles jamais éveillé chez personne autant de sentiments qu’elles en excitent en moi. Vous êtes belle de plus d’une façon ; et je vous ai tant étudiée en pensant à vous jour et nuit, que j’ai pénétré les mystères de votre personne, les secrets de votre cœur et vos délicatesses méconnues. Avez-vous jamais été comprise, adorée comme vous méritez de l’être ? Sachez-le donc, il n’y a pas un de vos traits qui ne soit interprété dans mon cœur : votre fierté répond à la mienne, la noblesse de vos regards, la grâce de votre maintien, la distinction de vos mouvements, tout en vous est en harmonie avec des pensées, avec des vœux cachés au fond de votre âme, et c’est en les devinant que je me suis cru digne de vous. Si je n’étais pas devenu depuis quelques jours un autre vous-même, vous parlerais-je de moi ? Me lire, ce sera de l’égoïsme : il s’agit ici bien plus de vous que de Calyste. Pour vous écrire, Béatrix, j’ai faire taire mes vingt ans, j’ai entrepris sur moi, j’ai vieilli ma pensée, ou peut-être l’avez-vous vieillie par une semaine des plus horribles souffrances, d’ailleurs innocemment causées par vous. Ne me croyez pas un de ces amants vulgaires desquels vous vous êtes moquée avec tant de raison. Le beau mérite d’aimer une jeune, une belle, une spirituelle, une noble femme ! Hélas ! je ne pense même pas à vous mériter. Que suis-je pour vous ? un enfant attiré par l’éclat de la beauté,