Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/451

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l’art sont toujours une timide contrefaçon des effets de la nature, une cuve polie comme une baignoire de marbre et sablée par un sable uni, fin, blanc, où l’on peut se baigner sans crainte dans quatre pieds d’eau tiède. Vous allez admirant de petites anses fraîches, abritées par des portiques grossièrement taillés, mais majestueux, à la manière du palais Pitti, cette autre imitation des caprices de la nature. Les accidents sont innombrables, rien n’y manque de ce que l’imagination la plus dévergondée pourrait inventer ou désirer. Il existe même, chose si rare sur les bords de l’Océan que peut-être est-ce la seule exception, un gros buisson de la plante qui a fait créer ce mot. Ce buis, la plus grande curiosité du Croisic, où les arbres ne peuvent pas venir, se trouve à une lieue environ du port, à la pointe la plus avancée de la côte. Sur un des promontoires formés par le granit, et qui s’élèvent au-dessus de la mer à une hauteur où les vagues n’arrivent jamais, même dans les temps les plus furieux, à l’exposition du midi, les caprices diluviens ont pratiqué une marge creuse d’environ quatre pieds de saillie. Dans cette fente, le hasard, ou peut-être l’homme, a mis assez de terre végétale pour qu’un buis ras et fourni, semé par les oiseaux, y ait poussé. La forme des racines indique au moins trois cents ans d’existence. Au-dessous la roche est cassée net. La commotion, dont les traces sont écrites en caractères ineffaçables sur cette côte, a emporté les morceaux de granit je ne sais où. La mer arrive sans rencontrer de rescifs au pied de cette lame, où elle a plus de cinq cents pieds de profondeur ; à l’entour, quelques roches à fleur d’eau, que les bouillonnements de l’écume indiquent, décrivent comme un grand cirque. Il faut un peu de courage et de résolution pour aller jusqu’à la cime de ce petit Gibraltar, dont la tête est presque ronde et d’où quelque coup de vent peut précipiter les curieux dans la mer ou, ce qui serait plus dangereux, sur les roches. Cette sentinelle gigantesque ressemble à ces lanternes de vieux châteaux d’où l’on pouvait prévoir les attaques en embrassant tout le pays ; de là se voient le clocher et les arides cultures du Croisic, les sables et les dunes qui menacent la terre cultivée et qui ont envahi le territoire du bourg de Batz. Quelques vieillards prétendent que, dans des temps fort reculés, il se trouvait un château fort en cet endroit. Les pêcheurs de sardines ont donné un nom à ce rocher, qui se voit de loin en mer ; mais il faut pardonner l’oubli de ce mot breton, aussi difficile à prononcer qu’à retenir.