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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/468

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Ni l’une ni l’autre, durant cette scène, qui fut très-vive, ne s’apercevait de l’absence de Calyste et de Conti. L’artiste était resté à table avec son rival en le sommant de lui tenir compagnie et d’achever une bouteille de vin de Champagne.

— Nous avons à causer, dit l’artiste pour prévenir tout refus de la part de Calyste.

Dans leur situation respective, le jeune Breton fut forcé d’obéir à cette sommation.

— Mon cher, dit le musicien d’une voix câline au moment où le pauvre enfant eut bu deux verres de vin, nous sommes deux bons garçons, nous pouvons parler à cœur ouvert. Je ne suis pas venu par défiance. Béatrix m’aime, dit-il en faisant un geste plein de fatuité. Moi, je ne l’aime plus ; je n’accours pas pour l’emmener, mais pour rompre avec elle et lui laisser les honneurs de cette rupture. Vous êtes jeune, vous ne savez pas combien il est utile de paraître victime quand on se sent le bourreau. Les jeunes gens jettent feu et flamme, ils quittent une femme avec éclat, ils la méprisent souvent et s’en font haïr ; mais les hommes sages se font renvoyer et prennent un petit air humilié qui laisse aux femmes et des regrets et le doux sentiment de leur supériorité. La défaveur de la divinité n’est pas irréparable, tandis qu’une abjuration est sans remède. Vous ne savez pas encore, heureusement pour vous, combien nous sommes gênés dans notre existence par les promesses insensées que les femmes ont la sottise d’accepter quand la galanterie nous oblige à en tresser les nœuds coulants pour occuper l’oisiveté du bonheur. On se jure alors d’être éternellement l’un à l’autre. Si l’on a quelque aventure avec une femme, on ne manque pas de lui dire poliment qu’on voudrait passer sa vie avec elle ; on a l’air d’attendre la mort d’un mari très-impatiemment, en désirant qu’il jouisse de la plus parfaite santé. Que le mari meure, il y a des provinciales ou des entêtées assez niaises ou assez goguenardes pour accourir en vous disant : Me voici, je suis libre ! Personne de nous n’est libre. Ce boulet mort se réveille et tombe au milieu du plus beau de nos triomphes ou de nos bonheurs les mieux préparés. J’ai vu que vous aimeriez Béatrix, je la laissais d’ailleurs dans une situation où, sans rien perdre de sa majesté sacrée, elle devait coqueter avec vous, ne fût-ce que pour taquiner cet ange de Camille Maupin. Eh ! bien, mon très-cher, aimez-la, vous me rendrez service, je la voudrais atroce pour moi. J’ai peur de son orgueil et de sa vertu. Peut-être,