Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/53

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— Oui, dit-il.

En ce moment il montra d’Aiglemont qui tenait sa fille dans ses bras, et qui parut de l’autre côté d’un chemin creux sur la balustrade du château. Il y avait grimpé pour y faire sauter sa petite Hélène.

— Julie, je ne vous parlerai point de mon amour, nos âmes se comprennent trop bien. Quelque profonds, quelque secrets que fussent mes plaisirs de cœur, vous les avez tous partagés. Je le sens, je le sais, je le vois. Maintenant, j’acquiers la délicieuse preuve de la constante sympathie de nos cœurs, mais je fuirai… J’ai plusieurs fois calculé trop habilement les moyens de tuer cet homme pour pouvoir y toujours résister, si je restais près de vous.

— J’ai eu la même pensée, dit-elle en laissant paraître sur sa figure troublée les marques d’une surprise douloureuse.

Mais il y avait tant de vertu, tant de certitude d’elle-même et tant de victoires secrètement remportées sur l’amour dans l’accent et le geste qui échappèrent à Julie, que lord Grenville demeura pénétré d’admiration. L’ombre même du crime s’était évanouie dans cette naïve conscience. Le sentiment religieux qui dominait sur ce beau front devait toujours en chasser les mauvaises pensées involontaires que notre imparfaite nature engendre, mais qui montrent tout à la fois la grandeur et les périls de notre destinée.

— Alors, reprit-elle, j’aurais encouru votre mépris, et il m’aurait sauvée, reprit-elle en baissant les yeux. Perdre votre estime, n’était-ce pas mourir ?

Ces deux héroïques amants restèrent encore un moment silencieux, occupés à dévorer leurs peines : bonnes et mauvaises, leurs pensées étaient fidèlement les mêmes, et ils s’entendaient aussi bien dans leurs intimes plaisirs que dans leurs douleurs les plus cachées.

— Je ne dois pas murmurer, le malheur de ma vie est mon ouvrage, ajouta-t-elle en levant au ciel des yeux pleins de larmes.

— Milord, s’écria le général de sa place en faisant un geste, nous nous sommes rencontrés ici pour la première fois. Vous ne vous en souvenez peut-être pas. Tenez, là-bas, près de ces peupliers.

L’Anglais répondit par une brusque inclination de tête.

— Je devais mourir jeune et malheureuse, répondit Julie. Oui, ne croyez pas que je vive. Le chagrin sera tout aussi mortel que pouvait l’être la terrible maladie de laquelle vous m’avez guérie. Je ne